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aux suffrages du peuple, qui avaient l’approbation d’Auguste : sa popularité, sa richesse, ses amis si nombreux faisaient de lui, en fait, sinon en droit, l’arbitre des comices et le grand électeur de la République. Il n’y eut que deux consuls, Auguste et T. Statilius Taurus, car on revenait à l’antique et sévère tradition du consulat double et annuel, et on avait aboli les petits consuls, si nombreux à l’époque de la révolution. Mais l’attitude observée par Auguste pendant les années qui suivirent nous montre qu’il ne désirait pas avoir la responsabilité de désigner tous les magistrats, et qu’il souhaitait voir les comices fonctionner de nouveau avec vigueur et liberté. C’était une raison de plus pour aller en Espagne, où il serait moins poursuivi par les demandes des ambitieux. Mais avant de partir il avait encore beaucoup à faire. Il devait avant tout préparer l’opinion publique, qui attendait toujours la guerre contre les Parthes et autres glorieuses campagnes, à approuver ses desseins plus modestes. Il ne pouvait pas dire brusquement à l’Italie qui s’attendait à la conquête d’empires immenses, de villes magnifiques, de trésors opulens, qu’il allait partir simplement à la conquête de vallées désertes, de montagnes arides et de quelques milles de mines souterraines, abandonnées et à demi ruinées. Il commença donc par faire courir le bruit qu’il se disposait à partir pour faire la conquête de la Bretagne d’abord, et de la Perse ensuite. Une fois parti, il ferait répandre le bruit que de grandes révoltes avaient éclaté en Espagne, en faisant donner successivement des détails pour l’accréditer : il habituerait ainsi le public à l’idée de l’expédition et, voyageant très lentement, il atteindrait le temps opportun pour changer de direction[1].

Il était cependant nécessaire que son départ ne troublât pas la paix dont Rome jouissait depuis quelques années, sans quoi tout le monde aurait regretté son absence et l’aurait considérée comme une grosse faute et un grand malheur. Mais qui pouvait

  1. Dion (53, 25) dit qu’Auguste avait véritablement l’intention de faire la conquête de la Bretagne ; tandis qu’au chapitre XXIII (ὡς καὶ ἐς τὴν Βρεταννίαν στρατεύσων) il donne plutôt à entendre que la guerre contre la Bretagne fut un prétexte. C’était d’autre part une opinion commune à Rome qu’Auguste partait pour la conquête de la Perse et de la Bretagne. L’ode V du troisième livre d’Horace le prouve. Mais il n’est pas possible qu’Auguste, qui avait réduit son armée à vingt-trois légions, ait nourri de tels projets. Avec mon hypothèse, la contradiction s’explique. Auguste laissa croire qu’il partait résolu à accomplir les desseins de César, pour habituer peu à peu l’opinion publique à d’autres projets.