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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/559

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avait assuré au germanisme une sorte de primauté du monde ; de l’Allemagne, il avait fait une cime. Le pangermanisme, qui s’étale aujourd’hui comme une exubérance ambitieuse de l’idée de nationalité, n’a rien de commun avec les rêves teutoniques de domination universelle qui trouvaient leur point d’appui dans l’idée même de chrétienté ; mais derrière ces rêves, en fait, c’était une façon de pangermanisme qui déjà s’abritait. Il n’était pas indifférent à la grandeur du nom allemand que des générations entières de théologiens et de canonistes, de peintres et de poètes, eussent habitué les imaginations à saluer aux côtés du Pape universel l’Empereur universel ; que l’hégémonie du César fût apparue comme un aspect temporel du règne de Dieu ; qu’au cœur même de l’Italie, à Florence, les fresques de la chapelle des Espagnols eussent dès le XIVe siècle éclairé d’un somptueux et mystique commentaire cette cérémonie du couronnement impérial que trois cent cinquante ans plus tard le jeune Gœthe contemplait à Francfort ; et qu’enfin Dante Alighieri, maestro e duce de toute poésie en terre latine, eût honoré la Germanie en honorant le sceptre impérial. L’imagerie vulgaire qui représentait l’Empereur tenant dans ses mains la boule du monde était une ouvrière d’histoire. Il ne suffisait pas que Napoléon fit tomber cette boule des mains incertaines de l’empereur François pour que ces images fussent démodées.

Le romantisme, au contraire, leur rendit une vogue ; la poésie, plus vraie que l’histoire, leur rendit une vérité. À l’arrière-garde des poètes, une génération d’historiens surgit, qui regrettaient le Saint-Empire. Les uns étaient des catholiques ; les autres, des protestans que leurs obsessions historiques inclinaient au catholicisme ; et vers le milieu du siècle, toutes les aspirations de cette école, anxieux élans, espoirs tenaces, s’incarnèrent dans la personne d’un grand érudit francfortois dont les travaux sur le moyen âge germanique sont demeurés classiques : le luthérien Boehmer. « Mon cœur, écrivait-il encore en 1863, fut attaché dès ma jeunesse à l’Empereur, à l’Empire, et pour cela à l’Autriche, où résidait l’axe naturel de tout ce que je représentais, ou plutôt de tout ce que je cherchais à représenter. » Toujours expectant, toujours déçu, il versifiait mélancoliquement :


Aucun empereur ne règne plus au large,
Kein Kaiser herrscht mehr weit und breit.