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chrétien, l’une pour Rome, l’autre pour la Germanie, et puis elle unifiait la force et la sainteté, accouplait Rome et la Germanie, mariait le temporel et le spirituel ; et de cette alliance, enfin, la chrétienté naissait, âme collective servie par des organes collectifs, imitation grandiose de l’union de l’âme et du corps dans le composé humain.

Il y avait là un fait métaphysique autant et plus qu’un fait politique ; il y avait là une idée, autant et plus qu’une institution. Après Austerlitz, l’institution jonchait le sol ; mais l’idée restait dans l’air. Elle avait passé outre à l’hérésie religieuse de Luther ; elle avait survécu à cette sorte d’hérésie politique qu’était l’absolutisme de droit divin, conçu et pratiqué par les Bourbons. Ni Luther ni les Bourbons n’avaient pu convaincre toute l’Europe que tout le moyen âge se fût fourvoyé ! Austerlitz à son tour avait des contradicteurs, dont Goerres fut le plus illustre. Leurs imaginations obstinées ressuscitaient, par leur fidélité même, le Saint-Empire enseveli ; elles le prolongeaient, elles le galvanisaient, comme une sorte de protestation contre les remaniemens napoléoniens.

« La chute du Saint-Empire, écrira plus tard Ketteler, évêque de Mayence, fut, plus que la Réforme, un événement religieux, le plus grand et le plus important depuis l’existence de l’Église en Allemagne. » Ketteler disait vrai : l’architecture du monde, telle que l’avait concertée la pensée du moyen âge, était en ruine. Mais l’Église universelle avait assez de ressort et de souplesse pour se passer de cette armature, dans laquelle le moyen âge l’encadrait.

« Ces deux moitiés de Dieu, le Pape et l’Empereur, » se trouvaient désormais en face d’une destinée nouvelle : le Pape, en perdant son auguste collègue, était, tout à la fois, sevré d’une protection et affranchi d’une tyrannie, et le siècle même dont l’aurore avait été sonnée par le glas du Saint-Empire exaltera, plus qu’aucun autre, la primatie de la papauté sur les âmes. Mais l’Empereur, lui, de puissance théoriquement internationale, devenait un simple chef d’Etat, et l’un peut-être des plus débiles, puisqu’il ne régnait même pas sur une nation, mais sur une mosaïque de peuples. La catastrophe de 1806 nuisait beaucoup plus au prestige des Habsbourgs qu’à celui de la Papauté.

Un autre honneur semblait atteint, une autre gloire semblait pâlie : c’était l’honneur et la gloire de l’Allemagne. Le Saint-Empire