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Concurrentes alertes, impétueuses, elles profiteraient du mouvement de recul auquel se condamnerait lui-même le peuple allemand, du jour où il signifierait à l’Autriche un ingrat et inopportun congé. Reichensperger parlait aussi comme catholique. L’équilibre religieux de l’Allemagne était en jeu ; si l’Autriche était exilée du corps germanique, la majorité des âmes, dans le territoire qui continuerait de s’appeler Allemagne, appartiendrait à Luther. La Germanie, cette pierre fondamentale de l’antique chrétienté, achèverait de déserter son rôle. Au nom des vastes ambitions de la race germanique, au nom du particularisme allemand, au nom des intérêts catholiques, Auguste Reichensperger suppliait l’Allemagne de garder l’Autriche comme tête, et l’Autriche de ne point se détacher de ce grand corps historique.

Un professeur badois, Louis Häusser, soutint devant le parlement d’Erfurt la thèse adverse ; et tout de suite il fut évident que sous les noms de Reichensperger et d’Häusser, deux conceptions de l’Allemagne se livraient un duel à mort. Häusser était l’un des représentans les plus passionnés de cette école historique qui commençait d’affirmer comme une vérité de foi, et de prouver comme une vérité de science, ce qu’elle appelait la vocation allemande de l’Etat prussien. D’après lui, c’était autour de la Prusse que l’Allemagne devait se cristalliser ; la Prusse, fille de la Réforme, était appelée à réparer les maux que le moyen âge catholique et que la contre-Réforme avaient infligés à l’Allemagne. Que l’Autriche transigeât, ou bien qu’elle fit sécession, peu importait à Häusser : ce qu’il voulait, c’était que rien n’empêchât la Prusse de remplir son auguste mission. Tout obstacle paraîtrait un attentat contre la nation allemande elle-même. Ainsi deux thèses entraient en conflit, qui s’accusaient réciproquement d’un crime de lèse-germanisme ; et suivant que l’une ou l’autre triompherait, l’Allemagne du lendemain n’aurait ni la même configuration géographique ni la même personnalité confessionnelle. Avec l’Autriche au sommet, le corps germanique faisait figure catholique ; amputé de l’Autriche et cherchant à Berlin son point d’appui, il prendrait l’aspect d’une puissance protestante. On eût dit que la guerre s’engageait entre le moyen âge et la Réforme sur le champ de bataille d’Erfurt, « ville de Luther. » Reichensperger fut battu par Häusser, la Grande Allemagne par la Petite Allemagne, l’Autriche par la Prusse, le catholicisme par le protestantisme.