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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/567

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protestantisme allemand (Schutzmacht des deutschen Protestantismus) ; sur l’heure, c’en serait fait de l’auréole du roi de Prusse comme patron militant de l’Église évangélique (der Nimbus eines streitbaren Patrons der evangelischen Kirche geht zum Kukuk). À tout prix, il fallait éviter cette déchéance. Bismarck, dans les premiers mois de 1854, se fit envoyer à Carlsruhe, puis à Wiesbaden, pour empêcher, tour à tour, le gouvernement de Bade et le gouvernement de Nassau de se montrer trop concilians dans les négociations qu’ils ébauchaient avec Rome. Il avait, au cours de ces voyages, un œil d’inquisiteur pour épier les diplomates dont il flairait l’ « ultramontanisme ; » leur dossier restait dans sa mémoire, un dossier que rien n’effacerait. Les discours les plus violens de l’ère du Culturkampf ne le cèdent pas à certaines des lettres que Bismarck écrivit alors à Manteuffel et à Gerlach. Il apparaît comme une sorte de commissaire d’un protestantisme politique, inflexible, intraitable.

On pressentait vaguement, dans l’Église catholique de Prusse, le rôle du gouvernement de Berlin. « La Prusse n’a pas démenti sa nature, écrivait Fœrster, évêque de Breslau. Tant que Bade fut en résistance ouverte contre l’Église, la Prusse se tenait calme et effacée. Dès que Bade parut vouloir fléchir, la Prusse exprima des réserves, et cela pour de bons motifs. » En effet, les motifs étaient bons, et même ils étaient doubles. Les cabinets protestans de l’Allemagne avaient désormais la preuve que la Prusse savait les appuyer, et qu’elle le voulait. Quant aux populations catholiques, on pouvait leur remontrer que des négociations avec Rome, préliminaires de la paix religieuse, coïncidaient avec une visite diplomatique de Bismarck, et leur donner lieu de penser que les conseils de la Prusse avaient accéléré l’heure de la pacification. Le double jeu se laisse discerner, sans aucun voile, dans une lettre de Bismarck à Manteuffel, du 1er février 1854 : « Si la presse parle, suggère-t-il à son ministre, il faut faire dire que la Prusse a conseillé à Bade d’accorder plus de liberté d’action aux catholiques, et qu’en même temps elle s’est appliquée à contre-balancer les influences étrangères qui pesaient sur la liberté de Bade. » La première allégation, formellement contraire à la vérité, laisserait croire aux catholiques que ce que l’Autriche n’avait pas-obtenu de Bade, la Prusse l’avait obtenu. La seconde phrase, plus mystérieuse, plus véridique, expliquée par les diplomates dans le huis-clos des entrevues, ferait comprendre