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caractère national qui s’est effondré dans le particularisme, et qui se perd de plus en plus, ce caractère ne pourra se reconstituer que par un lion interne, une religion ou une philosophie. »

Que ce lien pût redevenir le catholicisme, on l’avait sérieusement espéré, vers 1840, autour de la Table ronde de Goerres : on y prophétisait volontiers que le protestantisme agonisait, que l’unité religieuse de l’Allemagne était prochaine ; et les partisans de la Grande Allemagne avaient quelque temps durant pris l’habitude de riposter aux Prussiens jaloux d’unification : « Faisons d’abord l’unité religieuse, l’unité politique suivra. » Puis les faits avaient parlé, plus décisifs, sinon plus éloquens que les rêves. Ils avaient prouvé, à l’encontre du mot de Schelling, que le caractère national ne pouvait se reconstituer que par la guerre… Ketteler alors, survenant, et profitant toujours de l’école des faits, avait expliqué que, pour couronner l’œuvre, pour achever l’unité qui était comme le symbole de ce caractère national reconstitué, il fallait reconnaître l’autonomie des Églises, ce qui voulait dire, implicitement, leur diversité. Il avait ainsi mis fin au quart de siècle de polémiques où, pour des raisons confessionnelles, certains Allemands donnaient leur cœur à l’Autriche, certains autres à la Prusse ; il avait présenté la vraie solution : liberté des Églises.

Puisque la Prusse, depuis 1850, accordait chez elle l’autonomie religieuse, qui donc eût pu penser que, dans la Prusse devenue l’Allemagne, le chancelier de Bismarck appliquerait des maximes inverses, et que les catholiques grossdeutsch, que lui avait ralliés la voix de Ketteler, seraient récompensés par le Culturkampf ? Serait-ce donc une loi de l’histoire, qu’avant de prétendre à quelque efficacité, avant même d’obtenir respect et créance, les « ralliemens » tardifs sont mis à l’épreuve par de terribles crises et découragés sans pitié, — on pourrait presque dire : punis, — par ceux-là mêmes dont l’hospitalité semblait promise ?


GEORGES GOYAU.