Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/593

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais ! » Dans ses notes manuscrites sur la terrible année 1866, ce qui faisait pleurer Reichensperger, c’était l’effondrement de la Grande Allemagne ; mais ce qui le faisait trembler, c’était l’idée que Napoléon, après avoir poussé la Prusse à Sadowa, s’ingérerait bientôt entre les deux antagonistes. Ketteler, s’épanchant dans une lettre à sa sœur, redoutait que la guerre de 1866 ne fit perdre à l’Allemagne tout le fruit des luttes livrées en 1813 pour l’indépendance. Le nom même de Napoléon rendait cette crainte plus lancinante, plus poignante ; il semblait que les morts parlassent, et qu’ayant maudit l’oncle, ils insultassent le neveu.

Le neveu, d’ailleurs, — l’homme de Magenta et de Solférino, — n’était-il pas en partie responsable des infortunes de l’idée de « Grande Allemagne ? » Cette idée vaincue, même résignée, même abdiquant, même pardonnant à Bismarck, gardait comme un reste de vie, pour soulever des rancunes contre l’empereur des Français,

Aussi, le jour où Bismarck entretiendra l’Allemagne, à sa façon, d’un colloque survenu à Ems entre le roi Guillaume et le ministre de Napoléon III, les invalides de l’idée de Grande Allemagne accourront auprès des soldats de la Petite Allemagne, et l’étranger, naguère considéré comme l’artisan des dissensions allemandes, sera sans le vouloir, tout de suite, l’artisan d’une grande réconciliation, d’une de ces réconciliations qui semblent effacer l’histoire de la veille et préparer une sorte de table rase où s’inscrira l’histoire du lendemain. Grands Allemands et Petits Allemands, Grossdeutsche et Kleindeutsche, ne retiendront plus, dans ces noms qui les divisaient, qu’une syllabe commune : Deutsch. Les uns avaient pour maître Goerres ; ils lisaient Janssen, qui, dans une brochure publiée en 1861, s’efforçait de prouver, pièces en main, les aspirations historiques de la France à la possession du Rhin. Les autres s’étaient mis à l’école de Maurice Arndt ; ils lisaient Häusser, qui avait réfuté pour l’Allemagne les travaux de Thiers sur Napoléon. Entre Goerres et Arndt, entre Janssen et Häusser, entre l’ancienne école catholique de Munich et le Nationalverein protestant, l’année 1870 nouait une concorde imprévue.


« Comme en Allemagne, écrivait Schelling au début du siècle, il n’existe pas de lien extérieur ayant le pouvoir de raviver l’ancien