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d’État dont il vient de parler ne se fit pas attendre. Elle fut décidée et signée par le Roi à la mi-décembre. En même temps qu’elle réparait, à l’égard de l’illustre écrivain, les injustices du passé, elle mettait un terme à ses préoccupations matérielles. A peine installé à ce poste important, il s’empressait d’avertir Blacas de ce grand changement.


« Turin, 19 décembre 1818. — Monsieur le comte, je serais coupable si je ne me hâtais pas de vous apprendre la décision de mon sort. Après une très longue suspension, je m’étais arrangé assez philosophiquement, comme vous l’avez vu dans quelques-unes de mes lettres, pour une mort civile assez honorable, lorsque, tout à coup, le Roi m’a déclaré à la fois ministre d’Etat et régent de la Grande Chancellerie. Le régent, qui est parmi nous le premier personnage de la magistrature, revient assez à vice-chancelier. Cependant, c’est quelque chose de plus, et jamais il n’existe qu’en l’absence du chancelier. S’il plaît au Roi de remplir cette dernière place (qui est souvent longtemps vacante) il faut qu’il y nomme le régent ou qu’il le pourvoie ailleurs. Les femmes des ministres ont comme leurs maris le titre d’Excellence (ceci est tout à fait italien) et sont placées à la tête des dames de la Cour, de manière que, sous tous les rapports, je me trouve parfaitement bien colloqué.

« Cependant, monsieur le comte, j’espère que vous le croirez aisément, je ne sais quel désir et quelle espérance vague de revoir Rome vivaient toujours dans mon cœur. Une très petite lumière n’est jamais plus visible que lorsqu’elle ‘s’éteint. C’est ce que je viens d’éprouver lorsque j’ai vu que tout espoir était éclipsé et que, suivant les apparences, je ne devais plus vous voir. »


Cette pensée, qu’un destin contraire dresse entre lui et son ami une barrière et la rend tous les jours plus haute, ne cesse pas de hanter Joseph de Maistre et d’assombrir son esprit. Elle se trahit encore dans une lettre sans date, une des dernières qu’il ait écrites et qui précède de peu de temps sa mort. À ce moment, on voit la vie lui devenir plus lourde ; toutes ses réflexions se ressentent du pessimisme dont son âme est voilée ; il songe à se préparer une retraite où il pourra finir ses jours, et pour se l’assurer, il sollicite cet appui pécuniaire qu’il a naguère refusé.