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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/654

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ville natale et, pendant un grand nombre d’années, nous n’avons cessé de nous voir de la fenêtre, lorsque l’aimable Révolution nous lança en sens contraire sans la moindre espérance de nous revoir. Cependant, nous nous sommes rencontrés miraculeusement, en vingt-cinq ans, une fois sur les Alpes, une fois à Paris et enfin à Turin, d’où l’abbé part pour s’en aller voir la capitale de la chrétienté. Il vous expliquera lui-même comme quoi il appartient à la France autant qu’à la Savoie. Permettez que, sous ce double rapport, je vous le recommande instamment pendant son séjour à Rome. Il appartient à l’une des meilleures maisons de Savoie, et il était destiné à courir chez vous une carrière très distinguée si sa fortune et ses espérances n’étaient pas tombées dans l’abîme commun. Il professe d’ailleurs la même religion que nous, et vous pourrez lui parler en toute sûreté. Je vous prie en style royal d’ajouter foi à tout ce qu’il vous dira sur ma singulière situation et sur l’état du Piémont en général, qu’il a eu le temps de bien connaître. Il vous expliquera comment, si l’on vivait d’estime et de considération, je serais sûr de dîner demain et comment, malgré les plus dignes oppositions du monde, je pourrais fort bien me trouver ministre d’Etat après-demain, si je ne meurs pas demain. Enfin, monsieur le comte, dites hardiment comme Arlequin : Tutto il mondo è fatto come la nostra famiglia : il n’y a de différence que celle qui tient aux masses. Il y aurait de l’impertinence à vous parler de ce qui se passe à Babylone. Recommandons donc le tout à Dieu et n’en parlons plus.

« J’espère, monsieur le comte, que vous aurez reçu ma dernière lettre du 9 octobre. J’ai toujours sur le cœur la vôtre du 26 septembre ; mais c’est dans un sens tout différent attribué à l’impression vulgaire. Combien j’ai senti ce trait de délicatesse et de bienveillance raffinée ! Mais je ne veux pas me faire gronder en vous en parlant encore. Heureusement, vous ne pouvez m’empêcher d’y penser.

« Est-il possible que j’aie perdu tant de temps ici sans avoir pu faire une course ad Limina Apostolorum ? En vérité, il y a des momens où la sagesse est bien pénible.

« Je vous embrasse tendrement, monsieur le comte, et vous prie (mais fort inutilement, à ce que j’espère) de me conserver une amitié que j’aime par-dessus toutes les autres. »


La nomination du comte de Maistre aux fonctions de ministre