Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’ôte la respiration. Comment pourrai-je supporter un tel fardeau ? Qu’est-ce donc que l’on veut ? Ne jette-t-on pas des guirlandes sur une victime suivant toutes les règles des sacrifices ? Si l’emploi de ministre de l’Intérieur ou, comme on dit ici, des Affaires internes était seul, il y aurait bien encore de quoi trembler ; seulement, je pourrais me dispenser de frissonner. Dans la place que j’occupe maintenant, il y a peu de responsabilité et, de tous les emplois de la première classe, il n’y en a pas certainement qui trouble moins le sommeil ; mais, si mon lit est une fois tendu à l’hôtel de l’Interne (ministère de l’Intérieur), je ne dois plus dormir. Si la fortune m’avait un peu moins cruellement traité, j’enverrais promener les affaires ; mais il n’y a pas moyen. Il faut mourir sur la brèche, en songeant que j’ai des enfans. »


Cette lettre, comme la précédente, ne porte pas de date. Mais elle est la dernière du dossier que nous venons de parcourir. Elle fut écrite par conséquent à la fin de 1821. À cette époque, atteint d’une paralysie qui, du moins, avait épargné son admirable intelligence et la laissait s’exercer encore, avec activité, Joseph de Maistre touchait à sa dernière heure. La mort le frappa le 26 février, avant qu’il eût goûté la joie de revoir l’ami fidèle auquel, pendant plus de vingt années, il avait ouvert librement son esprit et son cœur et que leurs lettres réciproques nous montrent si vraiment digne de sa confiance et de son affection.


ERNEST DAUDET.