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développer des richesses naturelles jusqu’ici inexploitées[1]. » Ainsi s’exprimait déjà, il y a une douzaine d’années, le consciencieux Vital Cuinet. Et l’illustre ingénieur anglais, sir William Willcocks, ancien directeur des réservoirs du Nil, conseille à la Compagnie concessionnaire de mener de pair le railway et l’irrigation. Il demande 500 millions pour mettre en plein rapport une superficie de 1 100 000 hectares d’un revenu énorme. L’attribution de la moitié des terrains incultes qu’on traverse en amont et en aval de Bagdad, suffirait largement, dit-il, sans aucune autre garantie, pour assurer une plantureuse rémunération à tout le capital engagé dans la double entreprise.

Ici encore, on le voit, nous sommes en présence d’espoirs grandioses, plus proches du rêve que de la réalité. Le pays est presque entièrement dépeuplé ; l’Arabe nomade et le Kurde pillard s’y donnent seuls rendez-vous. Pour organiser l’exploitation, il faudra faire appel à la main-d’œuvre européenne. Les publicistes allemands y ont songé. Depuis longtemps, ils préconisent l’envoi de colons par milliers en Anatolie d’abord et de là en Mésopotamie. Ils invoquent l’exemple des émigrans souabes de Palestine, les « templiers, » qui, depuis 1868, se sont établis par petits groupes dans les ports de Kaïffa et de Jaffa. Grâce à la ténacité germanique, leurs établissemens sont aujourd’hui en pleine prospérité. Ils s’occupent de culture maraîchère, des fruits, des abeilles, de la fabrication du vin. Toute la contrée environnante a largement progressé. Et l’empereur Guillaume, au cours de son voyage en Terre Sainte, a pu célébrer le succès de la colonisation allemande.

Mais il semble bien que le cas des << templiers » soit une exception. En Anatolie et surtout en Mésopotamie, la colonisation rencontre des difficultés plus grandes qu’en Palestine. Le Turc regarde ces contrées comme son dernier asile, sa suprême réserve. Les musulmans d’Europe, les Turkmènes, les Tcherkesses du Caucase, viennent y abriter les traditions de l’esprit islamique. Partout on rencontre leur pittoresque costume, tunique avec cartouchières brodées sur la poitrine et bonnet d’astrakan. Comment admettre que ce peuple de croyans fanatiques tolère l’intrusion des « ghiaours » dans son domaine ? En butte à l’hostilité des indigènes, aux tracasseries de l’administration,

  1. Vital Cuinet, Turquie d’Asie.