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intérieure, la Russie paraît momentanément désenchantée de la politique d’expansion. Mais lorsqu’elle voudra sortir de ce recueillement, où trouvera-t-elle hors de ses frontières un champ ouvert à son activité ? Les obstacles accumulés lui laisseront peu de choix. Tout porte à croire qu’elle jettera les yeux sur cette Asie Occidentale dont elle n’a jamais paru se désintéresser.

Le traité de Berlin lui a donné un morceau d’Arménie, les territoires de Kars et Andahan, mais en lui refusant Bayazid et Erzéroum qu’elle s’était adjugées à San Stéfano. A ses projets d’agrandissement vers le golfe d’Alexandrette, l’Angleterre a répondu en obtenant Chypre des Turcs et en leur faisant faire d’Erzéroum un formidable camp retranché. C’est qu’en effet le plateau arménien est le nœud stratégique de l’Asie Occidentale. A Kars et Erivan, un corps expéditionnaire russe est merveilleusement placé pour pénétrer dans le massif de l’Euphrate, bousculer les divisions turques de Khozat et de Kharpout, et, par le vilayet d’Alep, descendre jusqu’aux rives séduisantes de la Méditerranée. Or, si l’entreprise de Bagdad réussit, la route est coupée. Le ruban de voie ferrée, propriété allemande, qui se déroule du Bosphore au golfe Persique, arrête net l’élan des Russes vers la mer libre, but constant de leur ambition. Le rêve de Pierre le Grand et de Catherine s’évanouit. De même qu’en Europe le Tsar renonce à recueillir, au nom du panslavisme, riiéritage universel de « l’homme malade, » de même en Palestine, il devra abdiquer sa prétention traditionnelle de devenir, au nom de l’orthodoxie, le maître des Lieux-Saints. Après les droits de la race, souvent admis par les Occidentaux, il cessera d’invoquer les droits de la religion, si forts en Orient ; détourné du « chemin de Byzance, » il se verra fermer le chemin de Jérusalem.

Bloquée en Asie Mineure, la Russie pourra laisser prescrire des projets qu’elle n’a, semble-t-il, aucune hâte de reprendre. Mais si ses occupations sur d’autres théâtres la détournent temporairement, du moins ne voudra-t-elle pas livrer l’accès de ses possessions. Or, le chemin de fer de Bagdad la menace jusque chez elle, dans ses riches provinces de Transcaucasie. Déjà elle a pu faire écarter les tracés du Nord et du Centre, qui visaient directement sa frontière. Mais la ligne Konia-golfe Persique pourrait aussi, le cas échéant, jouer un rôle considérable. En 1877, le corps d’armée turc de Bagdad n’arriva sur les champs