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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/682

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de bataille d’Arménie qu’après deux mois de marches forcées, ayant perdu une partie de ses effectifs, trop tard pour empêcher la chute de Kars et l’investissement d’Erzéroum. La voie ferrée abrégera notablement la distance ; en quelques jours, les rédifs du VIe corps, les célèbres « muets » de Bagdad, pourront se concentrer à Diarbékir.

Qui sait, du reste, si le tracé primitif ne va pas bénéficier d’un retour de faveur ? Nous avons reconnu sa supériorité au point de vue économique ; elle n’est pas moins évidente au point de vue militaire. Des déplacemens rapides entre le haut cours du Tigre et la vallée moyenne de l’Euphrate, de Diarbékir à Kharpout, Divrighi et Erzindzan, rachèteraient par des manœuvres foudroyantes la faiblesse numérique des Turcs. Ils ont parfaitement compris ces avantages, et rien ne dit qu’ils ne songent pas à profiter des embarras actuels de la Russie pour substituer dans la concession allemande l’ancien tracé du Centre à celui du Sud. L’augmentation des dîmes des riches vilayets de Sivas, Mamouret-ul-Aziz et Diarbékir servirait à gager la garantie d’intérêt. Ainsi Adana, ou si l’on veut Mersine, bientôt atteinte, resterait le terminus de la ligne d’Anatolie et de son prolongement.

Quel que soit le tracé qui doive finalement prévaloir, le chemin de fer de Bagdad gêne les visées politiques et met en danger la suprématie militaire de la Russie en Asie Mineure. Il aura sur sa situation économique une répercussion non moins fâcheuse. Il détournera du Transcaucasien et des navires de la mer Caspienne une partie du trafic de la Perse du Nord, débouché naturel des produits russes. Il permettra l’exploitation des pétroles de Mésopotamie au grand préjudice des gisemens du Caucase. Il fera concurrence au Transsibérien, au railway du Turkestan et à ses futurs embranchemens vers l’océan Indien, qui se heurtent à des difficultés d’exécution presque insurmontables. Mais ici l’intérêt russe n’est plus seul en cause ; l’Angleterre entre en scène et se rapproche de son compétiteur d’hier, la Russie, dans la mesure de leur hostilité commune au chemin de fer de Bagdad.

L’Angleterre a fait de ses possessions d’Asie le joyau de son empire colonial et comme le symbole de sa politique extérieure : elle doit à tout prix garder la maîtrise des voies d’accès de l’Inde. Son immense commerce, ses relations avec la vice-royauté ne