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en les tenant au courant de nos intentions. Il importe, en effet, de dissiper par avance les susceptibilités et les préventions qui pourraient naître. L’incident de Marakech, quelque déplorable qu’il soit, ne saurait modifier dans ses principes notre politique marocaine. Nous ne demandons au Maghzen que justice : nos prétentions ne vont pas plus loin. Il s’agit de savoir une fois pour toutes si les Européens, et plus particulièrement les Français, peuvent être massacrés avec impunité. S’il en était ainsi, ce serait une étrange conséquence de la conférence d’Algésiras, et toute l’œuvre de civilisation que la France a accomplie depuis près de quatre-vingts ans au Nord de l’Afrique serait mise en péril. Nous ne saurions le tolérer un seul instant, et aucune puissance à notre place ne le tolérerait plus que nous. Sans manquer aux règles de modération qu’il s’est imposées et qu’il a constamment suivies, le gouvernement de la République atteindra le but limité, mais précis, que les circonstances lui imposent. Il serait prématuré, et peut-être imprudent, d’en dire plus aujourd’hui.


L’incident de Marakech a détourné pour un moment l’attention de nos affaires intérieures. Nous ne nous en plaindrons pas, car nos affaires intérieures sont peu propres à relever les cœurs. Il n’est pas mauvais que nous ayons quelquefois le brusque sentiment qu’elles ne remplissant pas à elles seules tout l’horizon national, et que nous pouvons tout d’un coup nous trouver exposés à des dangers venus du dehors assez graves pour nous obliger à faire effort sur nous-mêmes, et à songer à autre chose qu’à nos dissensions et à nos discordes.

La perte lamentable de l’Iéna, qui a fait explosion en pleine rade de Toulon, est un événement qui, par sa nature, touche à des intérêts divers. Notre puissance militaire en est provisoirement affaiblie. La mort d’un aussi grand nombre de malheureux, dont quelques-uns se sont conduits comme des héros et tous comme de braves gens, est un malheur qui intéresse l’humanité. Enfin l’incertitude où nous sommes, et où nous resterons peut-être toujours sur les causes réelles du désastre, ajoute de l’inquiétude pour l’avenir à l’angoisse qui nous étreint dans le présent. Il est douteux que les commissions nommées par le gouvernement ou élues par le Sénat pour découvrir la vérité, y parviennent effectivement. C’est une tâche que deux commissions ne remplissent pas mieux qu’une : peut-être aurait-il mieux valu en laisser tout le soin au gouvernement auquel il revenait, sauf à évoquer l’affaire devant le Parlement si, par la suite, il y avait lieu de le faire. Il était, au contraire, naturel et légitime que le Parlement,