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qui partageait l’émotion générale, interrogeât M. le ministre de la Marine, à son retour de Toulon, sur les impressions qu’il en avait rapportées. M. Monis s’en est chargé au Sénat : la réponse de M. Thomson a été aussi satisfaisante que possible, dans la réserve où elle devait se maintenir. On a fait plusieurs hypothèses. On s’est demandé d’abord si la malveillance n’avait pas fait tout le mal ; mais rien, ni de près ni de loin, n’autorise à le croire : c’est donc une hypothèse à écarter. On a dit ensuite que les poudres de guerre s’altéraient, se décomposaient dans certains cas, et qu’elles pouvaient alors exploser naturellement ; mais M. Thomson a affirmé que nos poudres, avant d’être livrées à la Marine, sont soumises à de longues épreuves qui ne laissent aucun doute sur la permanence de leur composition chimique dans les conditions où elles sont conservées sur nos navires. Celles de l’Iéna en particulier avaient été, il y a peu de mois, l’objet d’une inspection et d’une vérification attentives. Alors que faut-il croire ? Rien encore : on ne sait pas. Mais comment empêcher l’opinion publique de se demander, au risque de s’égarer, si des désastres aussi nombreux que ceux dont notre marine a été victime depuis quelques années ne tiennent pas à des causes morales, telles que le relâchement de la discipline et les négligences qui en sont les suites ? C’est une sinistre série que celle dont la marine française a dû enregistrer les cataclysmes répétés, et l’on s’étonne à bon droit que tant d’épreuves fondent sur elle et épargnent les autres. La marine anglaise a subi, il est vrai, quelques pertes du même genre : les cas, toutefois, ont été plus rares et encore sur un bien plus grand nombre de navires. La marine allemande a été jusqu’ici indemne. Comment se fait-il que ce soit la nôtre, toujours la nôtre, qui soit frappée ?

Les obsèques de nos malheureux marins à Toulon ont donné lieu à une manifestation où le gouvernement a tenu à être représenté. L’approbation a été unanime lorsqu’on a appris que M. le Président de la République, accompagné de M. le président du Conseil et de plusieurs autres ministres, avait décidé de s’y rendre ; mais on a été surpris et fortement choqué à la nouvelle qu’ils avaient évité avec soin d’assister à la bénédiction des cercueils. Cette partie de la cérémonie a été la plus émouvante ; elle a eu lieu en plein air ; la population toulonnaise y a pris part avec recueillement ; devant la mort, et quelle mort ! toutes les opinions religieuses ou philosophiques se sont en quelque sorte fondues dans un même sentiment de respect pour les croyances que partageaient la majorité des marins morts