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À Monsieur Gaston Paris.


Menthon-Saint-Bernard, 22 mai 1881.
Mon cher Paris,

Merci et grand merci de votre lettre[1] que je reçois par le même courrier. Je pense comme vous sur la monotonie[2] ; ma seule réponse est que, dans une matière si controversée, j’avais besoin de trop prouver ; en outre, il fallait, je crois, non seulement montrer la racine et le fruit, mais faire assister à la croissance de l’arbre ; chaque chapitre ajoute un décimètre à la tige.

Mon objection contre moi-même subsiste toujours ; évidemment il ne faut pas donner le coup de pouce imaginatif comme Michelet ; mais, avec un vrai talent, on pouvait s’en tirer, ce que je n’ai pas su faire ; par exemple, Macaulay a pu être critique exact et artiste complet (le siège de Londonderry, l’état de l’Irlande en 1690, le portrait de Guillaume III).

Si vous étiez ici, nous aurions à causer pendant des heures ; ce que vous dites sur l’inexactitude de Michelet, sur la faiblesse de sa critique, sur l’insuffisance de son érudition, est très vrai. Il a lu très peu et très mal le manuscrit (par exemple, les 82 gentilshommes de Caen, le 10 août, etc.).

Pardon de cette lettre à bâtons rompus ; je vous serre la main bien amicalement.

Tout à vous.


À Monsieur Georges Saint-René Taillandier[3].


Boringe, Menthon-Saint-Bernard, 20 juillet 1881.
Monsieur,

Je vous suis très reconnaissant de l’article que vous venez

  1. Réponse à l’envoi de la Conquête Jacobine, et à la lettre précédente.
  2. Gaston Paris à H. Taine, 21 mai 1881 : « … Ce que je critiquerais seulement, dans ce volume (la Conquête Jacobine), c’est la surabondance des faits, un peu les mêmes partout. Au fond, voilà le sentiment : les faits sont importans, nombreux, précis. Ils sont aux Archives, etc., y a-t-il besoin d’être Taine pour les réunir ? Ce travail aurait dû être fait par un travailleur d’un moins grand talent, après quoi Taine l’aurait résumé et en aurait tiré les conclusions. — Peut-être un résumé plus rapide aurait-il aussi bien prouvé, et auriez-vous pu rejeter en note ou dans un appendice une indication très sommaire des sources si richement utilisées. Le volume me paraît un peu long ; voilà, en toute vérité, ma seule critique ! »
  3. M. Saint-René Taillandier, aujourd’hui ministre de France à Lisbonne, est devenu par son mariage en 1888 le neveu de M. Taine.