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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/788

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de publier dans le Parlement ; c’est la première fois, je crois, que mes idées politiques sont rattachées à mes idées philosophiques, et rien ne m’est plus précieux que de voir constater ma bonne foi. J’ai pu me tromper, mais j’ai fait de mon mieux pour voir clair et pour voir juste ; j’ose assurer que la tâche est difficile. En politique, nous vivons dans un milieu d’idées toutes faites ; et il est aussi périlleux que désagréable de combattre des opinions dans lesquelles tout le public a été élevé et nourri ; j’avais moi-même ces opinions au début de mes recherches, et ce n’est pas sans effort ni sans chagrin que j’ai dû les quitter.

Permettez-moi de vous indiquer la réponse que je ferais aux objections qui terminent votre article. Vous justifiez la Révolution en disant qu’elle s’est maintenue en France et propagée en Europe. Il faut s’entendre sur ce mot Révolution. Si vous désignez par là l’abolition de l’ancien régime (royauté arbitraire, féodalité) rien de plus juste ; non seulement en France, mais en Italie, dans la plus grande partie de l’Allemagne et en Espagne, la vieille machine était pourrie et n’était bonne qu’à jeter bas.

Mais on pouvait faire l’opération de deux manières, à la façon anglaise et allemande d’après les principes de Locke et de Stein, ou à la façon française d’après les principes de Rousseau. L’histoire contemporaine montre la supériorité de la première méthode. En France, où la seconde a prévalu, non seulement on a dû traverser les massacres de la Révolution et les boucheries de l’Empire ; mais les deux conséquences fatales du principe de Rousseau ont subsisté et continuent à se développer.

Sous le nom de souveraineté du peuple, nous avons eu les insurrections, révolutions, coups d’Etat que vous savez, et probablement nous en aurons encore d’autres. Sous le nom de souveraineté du peuple, nous avons la centralisation excessive, l’ingérence de l’État dans la vie privée, la bureaucratie universelle avec toutes ses conséquences. Centralisation et suffrage universel, ces deux traits de la France contemporaine lui font une organisation imparfaite, à la fois apoplectique et anémique ; à mon sens, la constitution de l’Angleterre, celle de l’Allemagne, de la Belgique, de la Hollande et même de l’Italie valent mieux, et voilà comment l’histoire effective vient confirmer le jugement que l’analyse psychologique portait sur la théorie politique de Rousseau, de la Constituante et des Jacobins.

Je suis très loin de revendiquer seulement « le droit de l’hérédité »