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souffrait la France ? La tentation était grande. Saint-Simon n’y sut pas résister, et c’est là, suivant nous, qu’il faut chercher l’explication et du titre donné par lui à son mémoire et de l’usage qu’il fait du nom du Duc de Bourgogne, usage si fréquent que cette répétition constante finit par fortifier le soupçon au lieu de le dissiper.

Saint-Simon avait au reste quelque droit d’en invoquer l’autorité, car s’il est excessif de sa part de représenter les projets de gouvernement, si minutieusement dressés par lui, comme étant ceux du Duc de Bourgogne lui-même, il est cependant hors de doute qu’ils avaient été soumis à celui-ci, qui, tout au moins, ne les avait pas désapprouvés et peut-être même en avait adopté certains. Ces projets avaient en effet formé la matière des nombreux entretiens qui s’échangèrent entre Saint-Simon et le Duc de Bourgogne dans les premiers mois qui suivirent la mort de Monseigneur, entretiens dont nous avons déjà parlé, mais auxquels il nous faut revenir, car nous pourrons commencer d’y surprendre la pensée du Duc de Bourgogne lui-même.


II

Nous avons dit[1] avec quel art consommé Saint-Simon avait su, dès le lendemain de la mort de Monseigneur, dresser autour du Duc de Bourgogne des batteries d’approche, s’insinuer peu à peu d’abord dans sa familiarité, puis dans son intimité la plus secrète, jusqu’au point d’être introduit dans son cabinet par les derrières, et d’y demeurer enfermé avec lui de longues heures, à l’insu de la Duchesse de Bourgogne elle-même, jusqu’au jour où celle-ci finit par les surprendre. Dans ses Mémoires il se représente avec vivacité, garnissant ses poches de force papiers quand il se rendait chez le Dauphin, cherchant à en dissimuler l’enflure aux yeux des courtisans, et ne pouvant s’empêcher de rire en lui-même, « passant dans le salon d’y voir force gens qui se trouvoient, dit-il, actuellement dans mes poches et qui étoient bien éloignés de se douter de l’importante discussion qui alloit se faire d’eux[2]. » Mais nous n’avons rien dit du sujet de ces entretiens. C’était d’abord la dignité de duc et pair dont la diminution successive faisait le désespoir de

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1906.
  2. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. IX, p. 383.