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il n’y a pas d’autre moyen, pour celui qui cherche dans l’amour, l’absolu... » À cette maxime, Sperelli en ajoute une autre : « ... Deux conditions sont indispensables à qui veut devenir un véritable dominateur : il lui faut le sentiment impeccable de l’art, et la conquête de toutes les dames romaines. »

De tels passages ont induit des critiques à insinuer qu’au bout du compte, l’idéal de M. Gabriele d’Annunzio et de Sperelli n’est que celui de feu Don Juan : « ... Cet homme, a dit M. de Vogue, nous le connaissons depuis longtemps, un certain Tirso de Molina, en religion Fray Gabriel Tellez, le découvrit un jour, dans Séville. »

Le personnage d’Aurispa dit, il est vrai, au bas d’une page du Triomphe de la Mort :


Je sais que l’amour est la plus grande des tristesses, parce qu’il est l’effort suprême que l’homme tente pour échapper à la solitude de son être intérieur, — effort inutile comme tous les autres.


Mais ceci est, dans l’œuvre de d’Annunzio, un cri presque isolé de découragement. Celui que M. de Vogüé[1] a appelé « un débauché qui reste toujours un amateur d’art, » cherche, sincèrement, non pas comme Don Juan, un bonheur impossible, ou, comme un faune mythologique, le rassasiement de ses sens, mais « la Beauté, » à travers tous les amours pour lesquels il se passionne, et dont il se détache quand il lui semble avoir recueilli la parcelle d’or qui était mêlée au sable. L’écolier qui ouvrit les Odes de Carducci parce qu’elles se présentaient enveloppées avec grâce dans le charme du format, le caractère élégant de l’elzévir, et la caresse des beaux papiers, est indissolublement lié à l’esthète qui, séduit par la beauté des « dames romaines, » se penche sur l’amour qu’elles lui donnent pour y découvrir l’absolu qu’elles enferment, exprimer l’idéal de ces âmes, puis les rejeter à l’oubli, comme de beaux fruits pressés.

Nous vivons dans un âge assagi, où les choses sont jugées au point de vue de la décence extérieure. C’est dire que les sincères audaces de M. Gabriele d’Annunzio ne pouvaient être admises par tous. Aussi rêve-t-il d’un temps où il aurait été mieux compris

  1. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1895, la Renaissance latine : Gabriele d’Annunzio, par M. le vicomte Eugène-Melchior de Vogüé.