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de l’élite et de la foule. Son idéal est de se faire le contemporain des grands seigneurs lettrés, des artistes, des fameuses courtisanes que la Renaissance italienne a connus. Et de même que, en face du trouble de ses sens, il prête à tous les hommes les émotions physiques qu’Elena Muti ou Ginevra causent à Sperelli ou à Episcopo, il demeure intimement persuadé que, avec lui, le XXe siècle attend, souhaite le retour des mœurs de la Renaissance. Il ne doute pas que cette résurrection, il la verra :


La nouvelle Renaissance[1] aura en commun avec la Renaissance précédente les caractères que celle-ci avait elle-même avec la période hellénique de l’art, avec l’ère merveilleuse de Phidias, d’Apelle, de Sophocle et de Platon. Tous deux, — ces printemps de l’esprit humain, — tirent leur extraordinaire vigueur d’une source unique : les sentimens de l’énergie et de la puissance, poussés au plus haut degré. Tous deux signifient la plus superbe affirmation de la vie... Aujourd’hui, la conception de la vie, grâce à la science, est rétablie saine et entière. Nous tendons, par l’ascension continue vers l’idée pure, vers l’harmonie de l’homme avec l’univers. La splendeur d’une telle idée ne rayonne-t-elle pas de l’art que nous ont légué la Grèce antique, et la Renaissance italienne ? Cet art glorifie, au-dessus de toutes choses, la beauté et la puissance de l’homme, lutteur et dominateur : la nouvelle Renaissance devra donc commencer par rétablir le culte de l’Homme.


Quelle que soit la passion que M. Gabriel d’Annunzio professe ici pour cette Beauté et cet Idéal « grecs, » — dans la pratique des faits, il se révèle non pas Grec, mais Romain, pour aimer la Beauté. Le rêve grec est une merveilleuse harmonie entre ces deux puissances humaines que l’on continue de nommer, — faute de mots plus clairs, — âme et corps, A Athènes, sous les formes de marbre, c’est « l’Idée » qui transparaît.

L’Italie romaine, aussi bien que l’Italie de la Renaissance, n’a jamais été aussi idéaliste. Elle a porté, dans le culte de la Beauté, comme en toutes choses, le sens précis qu’elle a du « réel. » Elle s’est enfoncée plus profondément dans la matière ; elle a copié les Grecs en donnant surtout de l’importance au « corps, » qui exalte la Beauté par la Volupté.

M. Gabriele d’Annunzio aborde donc en voluptueux, et non pas en impassible, l’étude de l’humanité et du monde.

  1. Lettre de Gabriele d’Annunzio au comte Primoli (1898).