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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/851

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mort brisa autrefois en faisant disparaître brusquement ce demi-dieu, et pour cela, Cantelma veut créer, à son tour, un fils, en qui revivront toutes ses propres énergies ajoutées à celles des aïeux.

De fait, M. d’Annunzio lui-même, tel Cantelma, est, on l’a remarqué, un phénomène d’énergie littéraire très rare en Italie. Il a écrit un jour que, comme le Politien, il voulait considérer la vie « ainsi qu’une joie nouvellement révélée, secouer la tristesse des années révolues, se griser des sources nouvelles de bonheur... »

Une de ces sources jaillit pour lui du spectacle adoré des beautés naturelles. Élevé dans les Abruzzes parmi de rudes gens de barque, il a, toute sa vie, professé pour la mer un amour qui n’est pas de commande. On dirait que le rythme du flot marin est lié au battement de son pouls, et qu’il ne retrouve toutes ses joies qu’en face de cette mer nourrice. Sans doute, la fréquentation de Florence et de Rome, la culture livresque ont concouru à former son talent, mais c’est la mer qui a été sa véritable éducatrice : elle lui a révélé la nature. L’ivresse qu’il éprouve devant ses grandeurs infinies peut seule l’arracher à ses préoccupations individuelles. Tout enfant, entre les murs de son collège, il écrivait au critique Chiarini : « J’aime la mer de toutes les forces de mon âme et ici, dans cette vallée, près de ce fleuve poudreux, je souffre de nostalgie. »

Plus tard, lorsqu’il eut à rédiger, pour ses électeurs, — les Abruzziens d’Ortona, — ce que l’on appellerait dans le langage électoral de chez nous un « manifeste, » il dit à ceux dont il sollicitait les votes : « ... Mes œuvres ont révélé au monde la magnificence de votre sol, la grandeur de votre race... » Et il estima que c’était là le plus signalé service qu’il eût rendu à la patrie. A travers toutes les infidélités qu’il a faites à ses plans, à ses promesses, à ses projets philosophiques et littéraires, c’est à l’amour qu’il a pour la terre italienne, pour les hommes frustes, qui y vivent des drames de passion sans détours et sans complications, qu’il est toujours revenu. Son œuvre, à l’heure actuelle, n’est-elle pas comme enfermée entre les contes rustiques du début, et un drame terrien : la Fille de Jorio ?

Gabriele d’Annunzio a besoin d’associer la nature aux émotions de ses personnages. Il les peint toujours en communion avec les états de l’atmosphère, la qualité de l’air, l’heure du