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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/860

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Hermil fait mourir ce petit être, avec un maximum d’égoïsme et un minimum de scrupules, M. Gabriele d’Annunzio semble se rapprocher plus qu’à l’ordinaire du modèle idéal dont il est hanté.

Qu’un Julien Sorel et les hommes de sa génération gravitent autour de l’image déifiée d’un Napoléon : ces gens de demi-nord sont sensibles plus qu’à tout aux supériorités intellectuelles, et au vertige de la domination ! Mais c’est autour d’un César Borgia que tourneront les esthètes passionnés du XXe siècle italien, dont M. d’Annunzio se considère comme le prototype. Et peut-être pourrait-on trouver à leurs gestes et à leurs impulsions une explication, non pas individuelle, mais historique cette fois, et qui les dépasse. En effet, le triomphe de la maison de Savoie a apporté en Italie de la discipline et de l’ordre, avec l’unité : et dans l’ensemble, les petits, les humbles, sentent qu’ils ont intérêt à laisser se fermer sur eux une main énergique. Mais tout de même, à côté des bienfaits dont on est reconnaissant, il y a les vieilles licences, les joies de la désorganisation, les petites passions de la vie ancienne, les impunités de clientèles, que l’on regrette quand on est Italien. Cela engendre, par en bas, quelques révoltés qui, de temps en temps se lèvent, à peu près comme une poignée de pierres jaillit par une fente du Vésuve, et frappe au hasard de la projection.

Par en haut, la même utile contrainte crée les anarchistes moraux. Et il n’est pas sûr que, jugé d’un trône, l’esthéticisme d’un d’Annunzio n’apparaisse pas, dans son pays, comme un explosif dangereux. En France, nous n’avons aucune raison d’être inquiétés par l’anarchie morale dont l’œuvre du poète est la théorie : nous pouvons donc délicieusement goûter sa jeunesse, nous laisser emporter par sa sincérité. Lui-même peint en ces termes un de ses héros favoris :


... En lui, malgré toutes les corruptions, la jeunesse résistait, persistait, métal inaltérable, arôme tenace. Cette splendeur de jeunesse vraie était sa qualité la plus précieuse. A la grande flamme de la passion tout ce qu’il y avait en lui de faux, d’artificiel, de vain, se consumait comme sur un bûcher[1].


Voilà bien la cause de ce charme vainqueur : quelle que soit sa façon d’aimer et la brièveté de sa flamme, M. d’Annunzio

  1. L’Enfant de volupté.