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espoir, de s’enfermer dans des vœux de renoncement, d’admettre qu’elles n’ont jamais été un but, mais un moyen, de demander la permission de reparaître, à leur plan, selon leurs forces, encore une fois dans le sillage du maître :


... Ah ! si, un jour, tu pouvais sentir vraiment toute la valeur d’une dévotion comme la mienne ! d’une servitude comme celle que je t’offre ! Si vraiment, un jour, tu avais besoin de moi, et si, ayant perdu courage, tu reprenais par moi la confiance, si, fatigué, lu retrouvais la force en moi !


Ce sont les paroles mêmes que M. d’Annunzio a placées sur les lèvres de la Foscarina. Et sans doute, à cette minute, l’amante délaissée entend résonner en elle ce leitmotiv de l’Enchantement du Vendredi saint, de Parsifal qu’elle a écouté près d’Effrena, un jour, à l’aube de leur amour, tandis qu’une autre femme tenait l’orgue : « Servir ! servir ! » clamait l’orchestre. La mélodie de la soumission se déployait : « Servir ! » la femme fidèle apportait l’eau, s’agenouillait, humble et ardente, lavait les pieds de l’aimé, les essuyait avec sa chevelure défaite : « Servir ! »

On aperçoit clairement à quelles hautes figures de la tradition humaine et divine songeait à cette minute Wagner, l’inspiré. Il était hanté des souvenirs du Calvaire. L’humanité lui apparaissait tout entière groupée autour de ce gibet d’où part un suprême appel vers l’Eternelle Justice, tandis que la tendresse et la ferveur sanglotent, plus bas, dans l’ombre.

Ceci est un idéal chrétien. Le surhomme, très païen, de M. Gabriele d’Annunzio ne cherche pas la Justice, mais la Beauté. Il n’aspire point au gibet, mais à la colonne triomphale, qui, au-dessus de tous, relèverait dans la lumière.


JEAN DORNIS.