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merveilleux dans le tumulte de ces rochers, tandis que, en suivant la vallée dans la direction du couchant, l’œil apercevait avec enchantement la vaste nappe bleue des eaux de la Méditerranée. »

Ernest Renan réclamait un tyran bon, intelligent, équitable et libéral. Hester mérite-t-elle ces quatre épithètes ? En tout cas, son libéralisme ne l’empêche pas d’agir assez rudement envers ses domestiques, de rosser ses femmes, de les faire fustiger, enfermer dans un cachot, et de, les menacer du pal. Il est vrai que la plupart étaient sales, paresseuses, maladroites, que, pour le mensonge et le vol, elles auraient rendu des points à tous les Frontins du répertoire. Ses serviteurs orientaux la grugeaient comme les serviteurs européens avaient pillé son oncle, et elle aurait pu, elle aussi, leur donner pour étrennes ce qu’ils lui avaient volé pendant l’année. D’ailleurs, elle exigeait une obéissance passive, aveugle. Le jardinier ayant affirmé qu’un carré de jardin bêché par lui conviendrait à tel ou tel légume : « Dites-lui donc, interrompit Milady, que si je lui commande de bêcher, il n’a qu’à bêcher, et aucunement à donner son avis sur l’emploi du terrain. C’est peut-être pour sa tombe qu’il bêche, peut-être pour la mienne... »

Elle redressait à sa manière les théories philanthropiques du docteur Meryon, son familier et son historiographe : « Zeyneb me disait un jour : « Félicité, tu me prêches, tu prétends toujours me donner des conseils pour mon bien ; je considère tout cela comme de la plaisanterie. Si je fais quelque chose qui te déplaise, pourquoi ne me fais-tu pas fouetter ? » « Non, docteur, ces êtres-là n’aiment pas les gens doux : ils disent sans cesse qu’ils ne veulent point être commandés par de vieilles poules, mais par un tigre. » Et elle régalait son confident d’une foule d’historiettes destinées à mettre en relief les beautés de l’absolutisme cru et vert. Un pauvre Français ayant perdu ses bagages et son argent, l’émir Béchir envoie, dans le village où le vol a été commis, son bourreau et son ami, le fidèle Hamâady. Celui-ci assemble les paysans, et, du ton le plus aimable, les invite à rendre l’argent. Protestations unanimes d’innocence. Hamâady n’insiste pas, montre ses instrumens de torture, fait chauffer ses fers, ses petites calottes de cuivre, avise une femme et, délicatement, lui enfonce une aiguille sous un ongle de la main. « Laissez-moi ! laissez-moi ! et vous saurez tout, » finit-elle par dire