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tenu de respecter une absurdité parce qu’elle est consacrée, et d’abdiquer son goût devant les gloires réputées intangibles. Il va droit aux idoles dont le pied est d’argile. Il sonne la charge avec une impétuosité et une allégresse toutes françaises. Il a cette qualité qui fut si longtemps une chose de chez nous : la hardiesse dans le bon sens. Notons que M. Lasserre achevait son livre dans le même temps où M. Jules Lemaître préparait ses fameuses conférences ; il s’y inspirait d’idées proches parentes : lui aussi, il éprouvait le besoin de réclamer contre les chimères, les billevesées, l’emphase, la déclamation et le faux. C’est un symptôme.

M. Pierre Lasserre est, de son métier, philosophe. Ne lui demandons pas un livre d’historien. Il ne s’est pas astreint à suivre à travers les années le développement d’une même idée et à nous en montrer les modifications successives. Sans heurter trop rudement la chronologie, il s’est surtout soucié de l’ordre logique. Il n’a pas voulu davantage démêler les diverses influences, les actions et les réactions, l’apport du temps, des événemens, des mœurs et celui des théories et des œuvres. Il pose un principe et de ce principe il déduit des conséquences. Il élabore une doctrine et l’illustre des exemples les plus significatifs. Senancour lui servira de type pour personnifier ce qu’il appelle « la chimère du cœur ; » Benjamin Constant témoignera pour la « manie des passions ; » Mme de Staël pour le « sacerdoce de la femme ; » Chateaubriand pour la « splendeur du faux ; » Michelet ou Quinet pour le « messianisme romantique. » En un mot, M. Pierre Lasserre construit un système et emploie pour sa construction les matériaux les plus éprouvés. Il nous laisse le soin d’apprécier ce système à sa nouveauté et à sa solidité.

Il importe d’abord de préciser les termes. Ce qu’on entend généralement par le romantisme, c’est la période de l’histoire de notre littérature qui commence un peu avant 1820 et se termine un peu après 1850. Et pour en donner quelque idée on s’empresse de citer telles phrases de Mme de Staël et de Beyle, qui pourraient bien n’avoir aucune espèce de sens. M. Pierre Lasserre demande la permission d’élargir singulièrement ce cadre. Il remarque qu’à la date où les historiens de la littérature commencent à parler de romantisme, les œuvres les plus caractéristiques de la nouvelle façon de sentir et de penser ont déjà paru et agi : celles de Benjamin Constant, de Senancour, de Mme de Staël, de Chateaubriand, de Bernardin de Saint-Pierre, mais surtout de Jean-Jacques Rousseau — car il eût suffi de nommer celui-ci. « Rousseau n’est pas à l’égard du romantisme un