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du penseur, mais ressemble bien plutôt au dépit d’un enfant malade et dont le caprice n’a pas été satisfait. Ce mal du siècle est celui dont se plaignent tous les héros célébrés par la nouvelle littérature. Et tous, les Werther, les René, les Obermann, sont des âmes de désir qui paient la peine de s’être abandonnées à une sensibilité déréglée, inquiète, et destinée à s’exaspérer par ses propres déceptions.

Excès de l’individualisme, débordement de la sensibilité, ravages d’une tristesse morbide, ces caractères du mal romantique ont été maintes fois signalés, et M. Lasserre ne fait que les rappeler. Une partie de son travail beaucoup plus neuve et où excelle son vigoureux bon sens, est celle où il dénonce la perpétuelle confusion qu’établit le romantisme entre les genres les plus différens et les notions les plus incompatibles. Prodigieux assembleur de nuages et incapable de vivre hors de la tempête, le romantisme a dramatisé toutes les dispositions de notre nature. Exemple. On a souvent loué l’Adolphe de Benjamin Constant pour la sobriété de son art presque classique ; mais rien de moins classique que la conception morale sur laquelle a été bâti le fameux roman. Nous y assistons en effet au drame d’une existence ravagée par l’irrésolution ; et l’irrésolu était jusqu’alors un type de comédie ! Inconstance, légèreté de l’esprit, frivolité du cœur, « sont des défauts de tous les temps ; ce qui ne s’était pas encore vu, c’est le mode tragique de ces dispositions si peu tragiques. » Mieux encore. Une grande passion, qui envahit l’être tout entier, et bouleverse une existence, est tragique ; mais il n’y a rien de moins tragique qu’une série de « folies amoureuses. » M. Lasserre imagine un poète épicurien du XVIIe siècle rencontrant ce vers de Musset :


Il faut aimer sans cesse après avoir aimé.


Un Chaulieu, un Chapelle, un La Fontaine eût goûté ce conseil, digne d’Anacréon ou d’Horace, et approuvé ces engagemens légers qui ne promettent que du plaisir sans peine. Ce qu’il n’eût pas soupçonné, c’est qu’on y pût trouver, comme fait l’auteur de la Nuit d’août, une occasion de souffrance sans cesse renouvelée. C’est là un des procédés les plus habituels du romantisme : présenter comme tragique ce qui, de fait, en est le contraire. Qu’un valet devienne amoureux de la Reine, il se met dans une situation ridicule, et s’expose à se faire huer ; c’est donc lui que le théâtre romantique prendra pour héros d’un sombre drame. Le même théâtre nous apitoiera sur la détresse d’un vieillard amoureux, alors que jusque-là notre répertoire gaulois n’avait jamais manqué à s’égayer aux dépens du barbon. Ou encore