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apparaît comme le seul but de la vie, la brève durée de l’existence inquiète, trouble et attriste. Et elle troublait profondément Horace. La pensée de la mort lui était toujours présente ; les poésies qu’il a composées en souvenir de ses amis morts sont à coup sûr celles où il a mis le plus de sentiment et de sincérité. Il faut se hâter de vivre ; le temps passe ; la mort ne respecte personne ; elle nous attend tous au passage ; tout doit disparaître dans le néant :


Eheu ! fugaces, Postiune, Postume,
Labuntur anni[1].


Ces motifs sont répétés sous les formes les plus diverses et les plus admirables, étrangement mêlés à des poésies joyeuses et voluptueuses, mais répandant sur l’œuvre tout entière une tristesse vague et pénétrante.

Etrange poème, dont l’unité idéale est formée justement des contradictions de ses différentes parties. Si on comprend ce poème, on comprend aussi les incertitudes de la politique d’Auguste. Nul mieux qu’Horace n’est allé jusqu’au fond du grand vide spirituel sur lequel reposait le gigantesque édifice de l’empire. Qui donc pouvait oser de grandes choses, quand la nation tout entière était plongée dans une si grande contradiction ? Comment travailler vigoureusement avec des instrumens aussi usés ? Il est vraiment d’un esprit trop étroit de ne voir, comme le font certains historiens, dans toute l’œuvre d’Auguste qu’une « comédie politique » destinée à cacher une monarchie sous les formes d’une république. C’était une tragédie véritable que cette nécessité de concilier le militarisme de la vieille Italie et la culture de l’Asie hellénisée, — surtout depuis que la conquête de l’Egypte avait rendu ces deux élémens plus inconciliables que jamais.


GUIGLIELMO FERRERO.

  1. Horace, II, 14.