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rédaction, elle se brouille avec B… et le juge indigne de l’amitié qu’elle lui avait vouée. De son côté, B… se fâche avec C… et D… lesquels, à tort ou à raison, s’accordent à le juger avec une égale sévérité. Mme A…, C… et D… apprennent un jour que B… prépare un ouvrage où il raconte leurs démêlés, les confesse en se confessant, se défend en les attaquant. Ils s’inquiètent, tiennent conseil, relisent les fragmens des Mémoires qui concernent B…, s’étonnent d’avoir tracé de lui un portrait si flatté, décident qu’ils vont retoucher ce portrait, pour le rendre plus conforme à la nouvelle image qu’ils se font du modèle. Qu’y aurait-il de plus légitime, si même le second « état » devenait moins ressemblant que le premier ? Par malheur pour la réputation de Grimm, de Diderot et de Mme d’Épinay, leur action n’a pas eu ce caractère de loyale défensive : ils ne se sont pas bornés à retoucher leur peinture en pleine sincérité, ils ont inventé certains faits et en ont dénaturé d’autres, Mme Macdonald le montre avec beaucoup de force[1]. La seule excuse qui leur reste, c’est que la forme des Mémoires, celle du roman, ne les obligeait pas à la véracité. On l’acceptera pour ce qu’elle vaut : pourquoi auraient-ils pris la peine de remanier leur ouvrage, non certes par scrupule d’artistes conteurs, cela se voit, mais pour s’y magnifier aux dépens de leur ancien ami, s’ils n’avaient pensé que les lecteurs de l’avenir leur prêteraient quelque créance ? Je n’insiste pas sur les lettres de Mme d’Épinay [de Montbrillant] à Rousseau [René], transcrites dans les Mémoires avec de graves altérations : elles ont pourtant trompé presque toute la critique, qui s’est obstinée à préférer leur texte inexact au texte irréprochable des Confessions, et cela, comme Mme Macdonald n’a pas manqué de le relever, même après la publication des originaux par Streckeisen-Moultou[2] : en sorte que, parce qu’il plut à Mme d’Épinay de truquer ces documens, Rousseau passa longtemps, et passe encore auprès de gens mal informés, pour s’en être servi avec une liberté coupable ! Mme Macdonald, qui est juste, mais sévère, qualifie ces tripatouillages de « falsifications ; » M. Eugène Ritter[3]les attribue avec plus de charité au fait que

  1. Voyez entre autres l’histoire de la prétendue lettre à Saint-Lambert, II, p. 1-26.
  2. J.-J. Rousseau, ses amis et ses ennemis, 2 vol. in-8, Paris, 1865, t. I, p. 335-53.
  3. J.-J. Rousseau et Madame d’Houdetot, extrait du t. II des Annales de la Société J.-J. Rousseau, Genève, 1906, p. 9-13.