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Mme d’Epinay, n’ayant pas gardé les brouillons de ses lettres, les refit « tellement quellement. » L’aimable femme ayant traité avec le même sans-gêne une lettre de Rousseau au docteur Tronchin, l’explication devient plus difficile à soutenir. M. Ritter n’y renonce pourtant pas encore :


Le lecteur, dit-il, après avoir confronté les deux textes, ne comprendra pas comment Mme d’Épinay a pu dire : « Voici, mot pour mot, l’article que j’ai copié. »

Je m’explique la difficulté en supposant qu’elle avait, dans le temps, après la visite de Tronchin, refait de mémoire la lettre qu’il lui avait lue. En revoyant son papier douze ans après, elle crut qu’elle l’avait copié sur l’original ; et elle mit alors en tête une phrase qui nous étonne à bon droit.


C’est que M. Eugène Ritter n’est pas seulement un admirable érudit : il est un sage, d’esprit bienveillant, qui se plaît à couvrir d’un voile d’humaine et chevaleresque indulgence les défaillances dont les vieux papiers lui livrent les secrets. Espérons qu’il a raison, mais ne lisons plus les lettres de Jean-Jacques dans les Mémoires de Mme d’Epinay !

Ayant établi son opinion sur la découverte faite par elle dans ces manuscrits, Mme Macdonald a cru tenir la clé de l’intrigue qu’elle voulait démasquer : elle a donc consacré les premiers chapitres de son livre à l’examen de ce vaste « faux ; » puis elle est remontée à la lettre de Diderot adressée censément à L[andois], le 30 juin 1756, et que Grimm publie dans sa Correspondance littéraire en l’y qualifiant de « petit chef-d’œuvre, » et sur laquelle nous reviendrons ; après quoi, elle a suivi le développement du « complot » jusqu’à la savante série des articles perfides publiés dans la Correspondance littéraire de 1762 à 1767, et jusqu’à la querelle avec Hume. Elle a donc interverti l’ordre chronologique des faits, puisqu’elle a commencé par la fin. Or, la chronologie est le fil conducteur qui seul permet de circuler dans le labyrinthe des hypothèses historiques. En le gardant dans sa main, Mme Macdonald eût évité d’exagérer la portée, — considérable, à vrai dire, — de sa trouvaille, et peut-être serré d’un peu plus près cette vérité que l’histoire n’atteint jamais, mais dont elle doit chercher à s’approcher toujours davantage. Les trois « conspirateurs » en sembleraient moins noirs, [1]

  1. Éd. Tourneux, III, 249-57.