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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/141

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moins traîtres de mélodrame, sans que la justification de Rousseau fût pour cela moins complète. Il est évident, en effet, que quand Diderot écrivit sa lettre à L[andois], le « complot » n’existait pas encore ; et il me parait probable que ce « complot » n’a jamais eu la réalité concrète, calculée et prolongée que lui prête Mme Macdonald, ou, en tout cas, qu’il ne l’eut que beaucoup plus tard. Un « complot » suppose une entente consciente, réfléchie, de plusieurs personnes, pour des fins déterminées. Or, si une telle entente exista jamais entre les trois complices, ce ne fut sûrement qu’au moment de la révision des Mémoires. Jusque-là, rien ne prouve absolument que Mme d’Epinay ait fait le jeu de Grimm et de Diderot, ni même que ceux-ci aient poursuivi un plan concerté : tous trois furent entraînés par les conséquences de leurs premières fautes, par leurs mauvais sentimens, par le danger commun, par les événemens. Nous allons le voir en rappelant la succession de leurs méfaits dans l’ordre des dates, cadre obligé pour l’examen d’incidens qui se sont produits dans la catégorie du temps.


II

Avant d’entrer dans le détail de l’intrigue, nous tâcherons de marquer les relations singulièrement complexes de ses protagonistes.

Pour ce qui est de leur carrière, — si l’on ose employer un terme si peu approprié à l’activité littéraire de Rousseau, — : voici ce qu’il faut retenir. Ayant introduit Rousseau dans les lettres, Diderot se considérait comme son patron, entendait exercer sur lui une espèce d’autorité, prétendait même avoir inspiré ses premiers « Discours. » Rousseau, qui subit longtemps cet ascendant tyrannique, avait de son côté chaperonné Grimm : avec plus d’enthousiasme sincère, et surtout plus de discrétion. Mais tandis qu’il gardait une vive reconnaissance à Diderot, comme on en peut juger par la phrase même de la préface de la Lettre à d’Alembert qui consacre leur rupture[1], Grimm n’en avait aucune pour lui. Grimm et Diderot, d’ailleurs, s’entendirent bientôt mieux ensemble qu’avec Jean-Jacques, qu’ils observaient

  1. «… J’avois un Aristarque sévère et judicieux, je ne l’ai plus, je n’en veux plus ; mais je le regretterai sans cesse, et il manquera bien plus encore à mon cœur qu’à mes écrits. »