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le Prince, ne disserteront plus guère que du gouvernement de Florence, ou, en tout cas, que des affaires italiennes. Prenons le De Regimine de saint Thomas ; parcourons-en la table des matières, pour les deux premiers livres, les seuls dont l’authenticité, en tout ou en partie, ne soit pas contestée. Je ne dis pas qu’on n’y trouvera point, surtout au commencement du livre II, quelques chapitres dont Machiavel n’ait pu se souvenir au début soit du Prince, soit des Discours, soit des Istorie fiorentine ; mais il n’y en a peut-être qu’un, le chapitre IV du premier livre, qui soit proprement historique ; et, même quand les mêmes questions sont posées, elles sont posées ici comme des questions d’école, et là comme des questions de cour ou de chancellerie. Il en est de l’œuvre de Gilles de Rome ainsi que de celle de saint Thomas. Bien que ce soit comme un manuel d’éducation royale, composé pour Philippe le Bel, il a pour objet déclaré de « former le prince à la vertu ; » or, la vertu, chez le prince, consiste, d’après Gilles de Rome, essentiellement en deux choses : 1° plaire à Dieu ; 2° acquérir la prudence ; et, pour l’acquérir, penser à ce qui est utile à l’État, examiner le bien et le mal, repasser en esprit les bonnes coutumes et les bonnes lois ; dans la paix, bien choisir ses conseillers et ses juges : en vue de la guerre, bien soigner son armée et sa marine.

Si l’on reconnaît à ce trait une préoccupation qui survivra en Machiavel, auteur des Sept livres de l’Art de la Guerre, et qui lui survivra à lui-même en d’autres écrivains politiques, le simple énoncé de ces propositions suffit à marquer la distance qui, par l’esprit plus encore que dans le temps, sépare Machiavel de Gilles de Rome. Il lui sera indifférent de « former le prince à la vertu » pourvu qu’il le forme au gouvernement, et ce n’est point de « plaire à Dieu » qu’il lui fera son premier devoir. Ou encore il ne s’embarrassera pas dans les finesses d’une théorie, qui demeure assez confuse, du gouvernement naturel ou conforme à la nature, ni dans les ergotages, qui demeurent parfaitement vains, sur les trois espèces de gouvernement : ou annuels, ou à vie, ou héréditaires et perpétuels, ni dans les détours de la casuistique qui dicte au prince trois manières de vivre, dont une au moins, — quant à soi-même, — n’intéresse pas le secrétaire florentin ; dont la deuxième, — quant à la maison, — ne l’intéresse que médiocrement ; et dont la troisième, — quant au royaume, — est à peu près la seule qu’il juge digne de son