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attention. Ainsi, la morale personnelle comme l’économie domestique, Machiavel la rejettera, pour s’en tenir exclusivement à la politique : dans l’État, il ne voudra voir que l’État, et dans le prince que l’homme de l’État. Après quoi, que le prince plaise ou déplaise à Dieu, qu’il sauve son âme ou la perde, qu’il ruine ou enrichisse sa famille, cela ne regarde pas ou regarde à peine son conseiller ; cela ne regarde, selon les cas, que son intendant ou son confesseur.

En ce qui concerne l’école gibeline, la dissertation de Dante, De Monarchia, en peut à juste titre passer pour l’ouvrage capital. Et d’abord parce qu’elle est de Dante, de ce « Dante Alighieri, céleste par sa patrie, florentin par sa demeure, de race angélique, de profession philosophe-poète, lequel, dit Marsile Ficin, quoiqu’il ne parlât pas en langue grecque avec le père sacré des philosophes, Platon, néanmoins lui parla si bien en esprit qu’il orna ses livres de beaucoup de sentences platoniques. » Mais de ces trois livres, le premier est destiné à démontrer « la nécessité de la monarchie ; » le deuxième, comment le peuple romain s’est de droit attribué l’office de la monarchie ou l’empire ; » le troisième, « comment l’autorité du monarque ou de l’empire dépend immédiatement de Dieu. » Immédiatement, c’est-à-dire sans l’intervention, sans l’intermédiaire du Pape, au besoin contre lui : Dieu le Père et l’Empereur. Et c’est-à-dire, tout compté et pesé, que Dante, comme saint Thomas, et l’école gibeline comme l’école guelfe, pense à la monarchie universelle, dont il se contente de dépouiller le Pape pour revêtir l’Empereur. Le De Monarchia est donc encore, visant la monarchie universelle, un traité de politique universelle, et par là même, outre qu’il est de Dante, philosophico-poétique. L’un des grands Italiens du Risorgimento, Cesare Balbo, aura beau qualifier l’Alighieri de « politique pratique et expérimental, » — et du reste, Dante, « céleste par sa patrie », était « par son habitation » trop Florentin, pour qu’il n’y ait pas dans ce jugement un peu de vrai, — néanmoins, qui voudra connaître « un politique pratique et expérimental » sera plus sûr de le rencontrer dans le Prince, les Discours et les Legazioni que dans le De Monarchia ; de Machiavel ou de Dante, le plus Florentin est probablement Machiavel ; ou, pour suivre la comparaison, Dante est plus céleste que Florentin, mais Machiavel est plus Florentin que céleste, — et les choses de ce monde ne sont pas célestes, et la politique est chose de ce monde.