Le plus près de Machiavel, l’homme à qui il aurait pu devoir davantage, celui auquel il se peut qu’il doive quelque chose, c’est Marsile de Padoue, avec son Defensor pacis. Celui-ci est le moins « abstracteur de quintessence, » le plus politique de tous ; il est de tous le moins enfoncé dans les idées et dans les formes du moyen âge, le plus dégagé, le plus libre, on est tenté de dire le plus moderne ; car n’est-ce pas être « moderne, » l’être déjà au XIVe siècle, que de prôner la séparation des pouvoirs ou plus exactement la distinction des deux puissances, spirituelle et temporelle, l’indépendance de la loi civile, la laïcité de l’État ? Marsile de Padoue est le moins métaphysicien, le moins raisonneur, et, — en donnant au mot le sens que Guichardin et Bernardo del Nero lui donnaient, — le moins « philosophe » de ceux qui alors écrivaient sur la politique. Il est celui qui fait à l’observation la plus large ou la moins petite part ; il a le mérite, rare en son temps, s’il doit devenir commun en son pays, de lui faire sa part ; et c’est assez, joint à ce que Machiavel a pu directement y prendre, pour qu’on n’ait pas le droit d’affirmer du Defensor pacis qu’il ne contient aucune parcelle de machiavélisme prémachiavélique.
Le De Regimine principum de saint Thomas d’Aquin est vraisemblablement des environs de 1265 ; le De Regimine de Gilles de Rome, des environs de 1285 ; le De Monarchia de Dante, antérieur à 1311 ; le Defensor pacis, de Marsile de Padoue, est de 1327. La seconde moitié du XIIIe siècle et la première moitié du XIVe, ont, quant à la science politique, — et qu’il s’agisse de l’école guelfe ou de l’école gibeline, mais évidemment l’école guelfe au plus haut degré, — appartenu aux théologiens : la théorie jusqu’ici a été, est ici une théologie. La seconde moitié du XIVe siècle et tout le XVe appartiennent aux humanistes. Déjà, en Marsile de Padoue, on apercevait le passage de la scolastique à une science politique affranchie ; au XVe siècle, l’érudition ayant, dans l’estime des hommes, détrôné la scolastique, la science politique en Italie ne tarde pas à en ressentir les effets. Elle s’émancipe au spectacle des républiques changées en tyrannies et des tyrannies renversées les unes sur les autres, à la vue des luttes où s’affirme la valeur de la « personnalité réveillée, » comme dit Jacob Burckhardt, de « l’individu développé, » qui surgit, armé de courage et de calcul, de la force et de la ruse ; à l’évocation aussi des républiques anciennes, de la république romaine.