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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/187

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oserai-je ajouter de plus franc, et franc jusqu’à la brusquerie ? — Rien assurément de plus « plongeant, » de plus « fouillant, » de plus « déshabillant, » rien de plus cru et de plus nu que ce style. Rien de moins retors, et rien de plus spontané, de plus coloré, même dans le plus gris des genres, le plus volontairement éteint, la dépêche diplomatique. Ce n’est pas un Machiavel, un Guichardin, un Giannotti, ce n’est pas un de ces Florentins qui userait sa vie à enfermer des bavardages de bureau, des futilités de salon, des confiseries de cercle en des papillotes savamment frisées ! Ce ne sont pas eux qui, parmi tant d’affaires, feraient leur grande affaire de fignoler des Elegantiæ ! Mais tout de même c’est par les humanistes et par les diplomates, d’abord par les humanistes chargés de missions, qui s’en acquittaient heureusement à cause du prestige de leur éloquence, comme Manetti se faisant restituer les chevaux volés, ensuite par les diplomates ornés de lettres, habiles à voir exactement ce qui est et à rendre exactement ce qu’ils ont vu, créant d’instinct, sans qu’ils aient voulu créer une méthode, la méthode inductive et expérimentale ; c’est par eux que la science politique italienne est allée de la scolastique au réalisme ; des écoles gibeline et guelfe à l’école florentine ; et de saint Thomas ou de Dante à Machiavel.

Cette méthode, on ne peut même pas dire qu’ils l’ont créée ; on ne peut pas dire qui l’a créée, puisque c’est la race, le moment, le milieu, la nation tout entière qui en ont véritablement été les créateurs. Au XIVe et au XVe siècle, les révolutions ont ouvert en Italie, et particulièrement à Florence, une grande école de politique, devant laquelle devait pâlir la gloire et de la philosophie antique et des anciennes écoles guelfe et gibeline. Les maîtres incomparables qui enseignent la politique aux Florentins, ce sont les faits, c’est la vie. C’est le contact des choses qui fait leur méthode « inductive, » c’est la connaissance des effets et de leur relation aux causes qui la fait « expérimentale. »

Tout le monde, tout de suite, en subit l’influence ; les théologiens, les mystiques, les visionnaires eux-mêmes. Savonarole, dans son premier système, est encore tout proche et tout plein de saint Thomas, Il argumente comme lui sur le monarque et le tyran, sur le meilleur gouvernement, où que ce soit et en soi, in abstracto. Mais son second système, — celui qui prend corps et fonctionne, — est construit in re : à côté de la thèse, il