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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/223

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mysticisme et tenaient en particulier les extases pour des accidens nécessairement hystériques. J’ai déjà eu l’occasion de dire ici même[1]pourquoi l’assimilation du mysticisme et de l’hystérie ne me paraît pas légitime, et le docteur Léo Gaubert a montré récemment que les phénomènes extatiques peuvent se rencontrer dans d’autres névroses que l’hystérie[2]. Mais, quelles que soient les conditions nerveuses de la contemplation extatique, c’est un fait bien établi que, dans tous les états de ce genre, la vie consciente est absorbée par une image unique et toute-puissante autour de laquelle tout rayonne.

Les membres s’immobilisent devant cette image comme si toute la vie organique s’arrêtait pour la laisser régner. Dans ces momens, dit sainte Thérèse, « le corps est comme mort, sans pouvoir le plus souvent agir en aucune façon ; l’extase le laisse dans l’état où elle le trouve ; ainsi, s’il était assis, il demeure assis et, si les mains étaient ouvertes, elles demeurent ouvertes, et si les mains étaient fermées, elles demeurent fermées[3]. »

En général, rien n’arrive du monde extérieur qui puisse distraire l’extatique de sa vision ; ses sens sont fermés à la terre, mais en revanche, le tableau qui domine son imagination se détache avec une netteté parfaite ; il occupe la place, toute la place laissée vide par l’es images arrêtées ou par les sensations suspendues ; il se réalise librement dans l’âme, tandis que les sentimens correspondans, joie, tristesse, amour ou pitié, s’attachent à lui pour durer et lui donner en même temps toute l’intensité d’une sensation véritable.

Sainte Thérèse cite elle-même une de ses visions où l’image lui donnait le sentiment complet de la réalité, et où l’émotion d’amour était si forte qu’elle en était troublée jusque dans les dernières libres de son corps immobile et mort. « D’autres fois, dit-elle, la violence de ce transport est si grande, que tout le corps étant comme paralytique, on ne saurait se mouvoir en aucune manière et, si l’on est debout, on se sent comme transporté ailleurs, sans pouvoir même presque respirer ; on pousse seulement quelques gémissemens, mais ils sont intérieurs[4]. »

Nous pouvons facilement nous rendre compte de l’influence

  1. Voyez la Revue du 15 septembre 1906.
  2. Léo Gaubert, la Catalepsie chez les mystiques. Thèse, Paris, 1903.
  3. Autobiographie, ch. XX.
  4. Id., chap. XXIV.