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Jésus : « Tandis que, dans ses extases ordinaires, » dit le Père Bayonne, « elle demeurait privée de l’usage de ses sens, le corps immobile et les yeux fixes, ne trahissant ses émotions que par la couleur de son visage qui pâlissait ou rougissait suivant les sentimens qui agitaient son âme ; dans l’extase de la Passion, par une exception merveilleuse, son corps sortait de son immobilité pour se conformer aux gestes, aux altitudes, aux mouvemens divers du corps de Jésus-Christ dans le cours de ses douleurs. Elle présentait ses mains comme lui quand on le chargeait de liens, se tenait majestueusement debout comme lui quand on l’attachait à la colonne de la flagellation et reproduisait tous les mouvemens qu’elle lui voyait accomplir sous les coups dont on l’accablait. Pendant le couronnement d’épines, elle penchait doucement sa tête tantôt sur une épaule, tantôt sur l’autre, selon que les exécuteurs poussaient celle de Jésus à droite ou à gauche ; à l’heure du crucifiement, elle étendait sa main droite, puis sa main gauche, puis enfin posait ses pieds l’un sur l’autre tout comme faisait Jésus quand on le clouait sur la croix[1]. » Comme elle regardait Jésus de face on peut présumer, suivant une loi bien connue de la psychologie nerveuse, qu’elle faisait de l’imitation en miroir. Elle levait le bras gauche quand Jésus levait le bras droit, elle penchait la tête à droite quand il la penchait à gauche, et, dans ces conditions, le stigmate de la lance ne pouvait apparaître que sur le côté gauche, comme il apparut en effet après une longue série d’extases.

Mais si notre explication est la vraie, pourquoi quelques stigmatisés portent-ils à droite, comme le Christ, la plaie du côté ? pourquoi font-ils exception à la règle ? On pourrait répondre qu’ils ont reçu les rayons sanglans ou ardens en ligne oblique, et c’est ainsi que les choses se sont peut-être passées quelquefois. Mais bien peu ont pensé à rectifier de la sorte l’illusion du miroir, et s’ils ont été frappés à droite, c’est tout simplement parce que, dans l’extase où ils ont été marqués, ils ne se sont pas placés en spectateurs dociles devant les cinq plaies de Jésus ; ils ont voulu se transformer en lui pour mourir à sa place, être crucifiés ou blessés comme lui, jouer quelque chose de son rôle et, dès lors, ils ont pu être frappés à droite comme lui.

Sans doute saint François d’Assise a eu une vision, mais si

  1. Vie de Sainte Catherine de Ricci, par H. Rayonne, I, p. 146.