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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/286

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souverain. Aussi suis-je résolu à demeurer ici le plus longtemps possible et à ne me prêter à aucune combinaison ministérielle tant que l’Empereur n’exigera pas de moi que je marche à mes conditions. Alors j’irai au pouvoir comme on va au sacrifice, n’ayant d’autre visée que d’en sortir la tête haute et frappé par devant. Ce n’est que lorsque ce peuple léger en sera à la question sociale et qu’il tombera aux mains des liquidateurs, qu’il se réveillera. Jusque-là, tout ce qu’on dit sera inutile. Et comment en serait-il autrement, puisque vous, l’ennemi théorique et pratique des révolutions, vous vous faites l’artisan le plus terrible, le plus efficace, le plus persévérant de la révolution, dans des articles plus véhémens que ceux du Réveil, et cela parce que vous n’êtes pas d’accord avec le ministère sur l’infinitésimale question de savoir si un de ces parlemens que vous méprisez sera réuni pour pérorer, un mois plus tôt ou plus tard ! Ah ! cher ami, si le gouvernail obéit à la vague, lorsque c’est vous qui le tenez, entre les mains de qui sera-t-il inébranlable ? Vous aviez un si beau rôle à jouer en tombant sur ces révolutionnaires fanfarons et incapables ! Et qu’importe Paris ? C’est beaucoup, mais ce n’est pas tout. La France est derrière ne pensant pas de même. Je suis triste de voir tant d’injustice et je me reproche d’avoir dans le passé trop fait d’opposition en présence de l’aveuglement de cette nation, qui va affirmer une fois de plus son incapacité d’être libre (5 octobre 1869). »

Girardin me rétorqua une lettre toute pleine de récriminations contre l’Empire : « La preuve, me disait-il, que j’ai raison et que vous avez tort, c’est votre lettre même qui exhale à toutes les lignes la tristesse et le découragement. Si le gouvernement, depuis cinq mois, n’avait pas accumulé les fautes que j’ai dû relever sous peine de n’avoir plus de lecteurs, vous ne seriez pas découragé, car vous seriez dans toute l’ardeur de l’œuvre à accomplir. Encore quelques fautes, et le verre qui est plein débordera. Alors tout changement de ministère sera tardif et vain ; il n’y aura plus pour répondre aux exigences impérieuses de la situation qu’un changement de gouvernement. Il n’y a plus une année, que dis-je ? il n’y a plus un mois à perdre. Il y a deux ans, le 19 janvier 1867, vous avez été un atout décisif dans le jeu de l’Empereur. Qu’a-t-il fait de vous ? Il a attendu que la couleur de la retourne eût changé. Vous êtes encore une