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figure, mais vous n’êtes plus un atout. Ne dites pas que la galerie qui assiste à la partie est injuste. Non, ce n’est pas être injuste, quand on voit un coup mal joué, que de le constater et de le condamner. »

Je lui ripostai immédiatement : « Vous avez raison de le remarquer : ma lettre était triste. Ce qui causait ma tristesse, c’est de vous voir redevenu l’instrument de la Révolution, vous qui, mieux que personne, pouvez mesurer les immenses désastres sociaux qu’elle amènerait. J’ai éprouvé de cette déviation autant de chagrin que j’en ai ressenti, lorsque j’ai lu vos articles conT seillant la guerre. Ne prenez pas toutefois cette tristesse pour de la défaillance. Je suis plus que jamais affermi dans mes idées, dans mes résolutions, et plus que jamais, je suis prêt de corps et d’esprit à poursuivre un combat contre la Révolution par la paix et la liberté. Je suis bien loin de croire la partie perdue. Après tout, on a beau embrouiller les chiffres, les Irréconciliables n’ont obtenu en France que 200 000 voix. Ne m’abandonnez pas dans la route où vous m’avez vous-même appelé dès mes jeunes années ; revenez à la doctrine qui a fait votre originalité. Alors vous mériterez de prendre rang au milieu de l’éternelle Constituante qui siège dans l’histoire, à côté des véritables initiateurs politiques ; sans cela, vous ne serez qu’une brillante individualité sur laquelle se posera un éternel point d’interrogation. Quant à moi, vous vous trompez lorsque vous me faites dans la main de l’Empereur tantôt un atout, tantôt une simple figure : je ne suis qu’un homme de bonne volonté et d’idéal, égaré dans ce monde de la fraude, de la mauvaise foi et de la haine, et qui essaie de se tirer d’affaire le moins mal possible, jusqu’à ce que tous les partis, indignés de sa bonne foi obstinée, se soient accordés pour le renvoyer aux douceurs de l’étude libre et désintéressée, au repos de la vie intérieure, aux joies de la famille et de l’amitié. »


IV

Le ministère, malgré son sénatus-consulte, son amnistie et son énergie récente contre les menaces du 26 octobre, était très combattu. Les amis de Rouher considéraient ses membres comme des déserteurs, et les 116 voyaient en eux des intrus venant