Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recueillir la moisson qu’ils n’avaient pas préparée. Tous pensaient qu’il n’avait pas la puissance oratoire suffisante pour soutenir les chocs prochains d’une opposition si riche en orateurs. De plus, la discorde l’affaiblissait. Forcade aurait voulu qu’on frappât la presse et l’empêchât de provoquer aux rébellions. Chasseloup et Magne demandaient l’impunité absolue, mettant leur point d’honneur à laisser les journaux libres de tout dire et tout insulter, comptant pour les réprimer sur la réaction du bon sens public. Chasseloup, pour faire valoir son libéralisme, communiquait, disait-on, au Journal de Paris, le récit des discussions de chaque séance du Conseil. Quoi qu’il en soit, on croyait généralement ce ministère purement transitoire et ne devant pas tardera céder la place à un ministère nouveau dans lequel j’aurais, avec mes amis, le rôle prépondérant. « Chaque jour, m’écrivait Robert Mitchell, voit naître une combinaison nouvelle, un projet nouveau. Votre nom est mêlé à tout cela. On se querelle, on se démène, on se bat presque. Il n’y a qu’un point sur lequel tout le monde est d’accord, c’est qu’il n’y a rien de possible sans vous. »

Rouher disait tout haut : « En dehors de moi, il n’y a qu’Ollivier qui puisse faire quelque chose. » L’Empereur, Magne, Chasseloup et même Forcade reconnaissaient la nécessité de recourir à mes services. Seulement, chacun entendait m’employer selon ses vues. L’Empereur aurait voulu m’introduire à la place de Duvergier, en conservant tous les autres ministres, sans prendre Buffet ni aucun de mes amis. Magne et Chasseloup voulaient s’adjoindre avec moi Buffet, Segris et Talhouët en écartant Forcade. Magne eût été chargé par l’Empereur de composer ce ministère et de s’assurer ainsi l’honneur de mettre en pratique la responsabilité ministérielle, dont le sénatus-consulte avait posé les prémisses en détruisant l’incompatibilité entre les fonctions de député et celles de ministre. Chasseloup et Magne furent les premiers à agir auprès de moi. Ils me firent écrire par Kratz, homme fort distingué, depuis conseiller référendaire à la Cour des comptes, mon ami et celui de Maurice Richard, et dans la confiance intime de Chasseloup : « M. de Chasseloup se demande si le moment ne serait pas venu pour vous d’entrer aux affaires. Votre présence dans le Cabinet y apporterait la force et la confiance. Il y a un programme à faire, une conduite à arrêter, il y a surtout à rassurer complètement le Grand Pilote, qui,