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Les villages se blottissent dans le creux des vallées ou se nichent sur les sommets escarpés ; pas une ferme, pas une maison isolée : les chaumières se serrent les unes contre les autres, peureusement.

Depuis cinq ans, la Macédoine vit sous cette terreur ; le sang y coule, la misère y règne sans que les passions s’apaisent, sans que les haines s’émoussent. Sans doute les troubles ont été mis à profit, aggravés, compliqués, prolongés par l’entrée en jeu d’ambitions extérieures ; mais les souffrances des populations en sont-elles pour cela moins réelles, la situation moins dramatique ? La question macédonienne existe en elle-même, intrinsèquement. Elle n’est ni « un bluff, » ni « une plaisanterie ; » elle est la suite naturelle de ce grand mouvement d’émancipation et de résurrection qui, depuis un siècle, a successivement soustrait à l’autorité des conquérans turcs les populations chrétiennes jadis soumises par la force des armes. Elle ne se présente pas autrement, à son tour, que ne se posèrent l’un après l’autre les problèmes de l’indépendance de la Serbie, de la Grèce, de la Bulgarie, de la Roumélie orientale, de la Crète ; elle est seulement plus compliquée parce que la bigarrure des races, la multiplicité des ambitions engagées, la diversité des intérêts en litige en rendent la solution moins aisée à concevoir et surtout à réaliser. La crise macédonienne est la forme nouvelle de la question d’Orient ; elle est la localisation actuelle de cette maladie chronique dont souffre, depuis si longtemps, la vieille Europe.

Ce qu’a été, dans son évolution historique, cette question d’Orient, la place considérable qu’elle tient dans les combinaisons de la politique européenne, nous avons eu déjà l’occasion de l’expliquer ici[1] ; nous voudrions maintenant, en étudiant la crise macédonienne en elle-même et dans ses répercussions politiques, faire ce que nous appellerions volontiers une application sur le terrain des idées directrices que nous essayions alors de dégager de la multiplicité des faits. Nous ne nous dissimulons ni les difficultés ni les périls d’une telle entreprise ; dans un pareil pays, même après une enquête personnelle, il est souvent malaisé de discerner la vérité et parfois plus difficile encore de la dire. Le lecteur voudra bien se souvenir, si d’aventure cet exposé lui paraissait obscur et compliqué, que la réalité est

  1. Voyez la Revue du 15 septembre 1906.