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tribunaux : il y laisserait sa dernière piastre. La justice, l’administration, la force publique sont à la disposition des beys. Ce demi-esclavage est le sort d’un quart au moins des paysans bulgares macédoniens ; d’autres, plus misérables encore, sont de simples ouvriers agricoles, domestiques de ferme, bergers, bouviers, réduits à la condition précaire de salariés. Les chrétiens, quand ils sont propriétaires, ne possèdent que de petits domaines ; le poids des impôts, l’insécurité du pays, le mauvais état des routes découragent leurs efforts et empêchent tout progrès de la culture. Souvent, surtout à l’Ouest du Vardar, les villages, outre les impôts, sont obligés de payer une redevance spéciale aux Albanais du voisinage : c’est une manière de régulariser le pillage, c’est une assurance par abonnement contre le brigandage, payée aux brigands eux-mêmes.

La triste condition des paysans macédoniens a, depuis plusieurs années déjà, attiré l’attention des agens européens. « On connaît, écrivait, le 28 octobre 1902, M. Sleeg, alors consul de France à Salonique, les abus qui résultent du système de l’affermage des dîmes presque toujours adjugées à des beys influens, qui usent de la délégation de l’Etat comme d’un prétexte à toutes sortes d’exactions. S’il fallait une preuve de la gravité de cette question, on la trouverait dans le fait que les deux derniers mouvemens insurrectionnels ont commencé par le massacre d’agens chargés de la perception des dîmes. » Quelques semaines plus tard, le 3 décembre, le même agent signalait « ses appréhensions sur les dispositions des beys de l’intérieur lésés dans leurs intérêts de propriétaires fonciers et dans leur amour-propre de seigneurs féodaux par l’insuccès des mesures prises par les autorités, et tout prêts à saisir le moindre prétexte pour se charger de rétablir l’ordre à leur manière[1]. »

Si les campagnes fertiles de la Macédoine sont mal cultivées, les collines dénudées, les villages misérables, c’est dans le régime agraire qu’il en faut chercher le secret. Autant, pour le moins, qu’une question de nationalité, la question macédonienne est une question sociale.


RENE PINON

  1. Livre jaune de 1902, n° 32 et 42.