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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/395

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Quelquefois vous aviez une robe très bleue
En satin d’Orient que brodaient des vols d’or ;
Tout un golfe d’Asie ondoyait dans sa queue
Et mes rêves d’enfant y sont bercés encor.

Vous fumiez… et l’odeur de la pâle fumée
Venait se mélanger à vos divers parfums ;
Et je vous respirais, ô ma mère embaumée,
Avec le front caché dans mes lourds cheveux bruns.

Comme vous sentiez bon, ô mûre nonchalante !
Vous étiez, ténébreuse et pleine de clarté,
Pareille à quelque vague à la fois sombre et lente,
Qui mire obscurément les astres de l’été.

Vous étiez le voyage et toutes ses merveilles,
Et votre robe bleue, et son or, et ses plis,
Etait une nuit chaude aux splendeurs sans pareilles ;
Et vous, le grand navire et ses calmes roulis.

Vous étiez le voyage à l’espoir nostalgique,
Et vous étiez le port et les tranquilles eaux.
Votre poitrine était la rive aromatique,
El vos manches volaient comme de lents oiseaux.

C’est ainsi que j’ai vu des îles bienheureuses,
L’étrange enchantement de nocturnes pays…
Mères aux douces mains, mères voluptueuses,
Ouvrez à vos enfans les premiers paradis !

Pour que plus tard, déçus par les bonheurs du monde,
Ils sachent que jadis, à votre sein liés,
Ils ont, entre vos bras pleins d’une paix profonde,
Pressenti la grande ombre, où tout est oublié !