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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/396

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II


Pour l’enfant amoureux de cartes et d’estampes…
CHARLES BAUDELAIRE.
Tu songes, ô Guerrière, aux vieux Conquistadors.
JOSE-MARIA DE HEREDIA.

Quand mon fils est penché sur une mappemonde,
Ou copie en jouant les pages d’un atlas,
Quand il dessine un golfe avec sa main si ronde,
Alors que je lui parle il ne me répond pas.

Mais, d’un air étonné, d’un air lointain, il lève
Sa tête aux cheveux noirs, et je vois que ses yeux,
Ses yeux d’enfant sont pleins des désirs et du rêve
Dont se sont, autrefois enivrés ses aïeux.

Il rêve à des pays étranges, au mystère
Des îles et des lacs, des plages et des monts,
Et, dans l’espoir naïf de posséder la terre,
Savant et très petit, en sait les plus beaux noms.

O mon enfant ! jadis le fondateur de ville,
Barbare conquérant et rude messager,
A quitté Carthagène et son grand port tranquille
Et son Espagne jaune et ses chauds orangers ;

Fils de l’aventurier notre aïeul chimérique,
Boiras-tu l’eau d’un fleuve aux flots lents et dorés,
Et découvriras-tu, dans une autre Amérique,
L’île où sont endormis les bonheurs ignorés ?

Te voici dans mes bras et je suis ton rivage !
Mais pour toi l’avenir ouvre ses vastes mers,
Et je cherche déjà sur ton joyeux visage
Le sel des pleurs futurs et des embruns amers.

Imaginaire et pure et neuve caravelle
Dont l’amour et la joie étaient la cargaison,
Verras-tu ton ardeur, ouvrant sa plus grande aile,
Peu à peu disparaître au fond de l’horizon ?