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que cet élément : la tâche. Sur son portrait du Louvre, sa palette n’est plus chargée que de deux couleurs : une laque sanglante et du jaune. Ses méthodes échappent à toutes les formules connues. La moitié de la toile est à peine frottée. Par places, ce sont des empâtemens, des coulées de mortier, écrasées au couteau, au torchon, au pouce. Sur ces constructions rugueuses, le pinceau promène des glacis diaphanes, opère avec de telles souplesses et une science si subtile des valeurs, qu’il en résulte des modelés comparables aux reliefs des derniers marbres de Michel-Ange. Aucun peintre n’a su à ce point spiritualiser la matière. Mais il est évident que cette façon de peindre n’a plus aucune chance, de plaire aux amateurs des « porcelaines » de Mieris et de Slingelandt.

Ce n’est pas tout. L’italianisme s’était continué pendant tout le cours de la vie de l’artiste. Vers 1650, une génération nouvelle est de retour de Rome. Elle en rapporte les doctrines qu’on y trouve toujours, mais systématisées par un homme de génie, Poussin. L’antique, étudié sur place, fut la règle exclusive du Beau et l’absolu de la raison. L’humanisme romain, puissamment secondé par la lumière française, apparut sous un jour catégorique et impérieux. La tentative de Rembrandt pour « nationaliser » cette poétique universelle sembla décidément une tentative avortée. L’un après l’autre, tous les élèves avaient renié le maître. Vers 1665 il ne lui en restait plus qu’un seul, fils tardif et charmant, le bizarre Aërt van Gelder. Peu à peu, le vieillard continue de s’enfoncer encore dans la mélancolie de l’abandon suprême. Sa compagne meurt. Son fils meurt. Enfin, à soixante-trois ans, le 4 octobre 1669, le grand « hérésiarque » acheva de s’éteindre. Il était si oublié, que personne ne s’en aperçut.

C’est le règne des « linéaires » et des « académiques, » des van der Werff et des Dullaert. Et c’est l’abdication de la grande école hollandaise. On ne se souvient de Rembrandt que pour l’excommunier. De tous ces humanistes et de ces lettrés du jour, pas un n’est capable de voir ce qui avait ravi naguère, la somme d’humanité contenue dans son œuvre. On lui trouve l’esprit « canaille. » On raille cet ignorant et ce mal élevé qui n’en faisait qu’à sa tête, peignait au rebours de tout le monde et qui, en fait d’amours et de beauté idéale, se contentait d’une servante. On s’en prend à son goût des matières gluantes, — Lairesse dit ses « boues, » — à son clair-obscur, à ses clignotantes lueurs. Il est