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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/424

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la nature. Je n’aimerai un tableau que quand je croirai voir la nature elle-même. » Tel est le sentiment du siècle, et la Hollande le satisfait.

Il n’est pas facile de dire quel est, dans cette révolution, le rôle personnel de Rembrandt, ni dans quelle mesure il y est effet ou cause. Mais il est très considérable. Et bien qu’à l’origine Rubens soit seul en scène, bien qu’on ne distingue pas la Flandre de la Hollande, — pour tout le XVIIIe siècle, Rembrandt est un « flamand », — il semble que, pour rester un peu dans la coulisse, le compère d’Amsterdam n’ait guère été moins important que le ténor d’Anvers. Le chef des « Rubénistes, » de Piles, avait été longtemps prisonnier d’Etat en Hollande, et il en rapporta l’Hendrickje Stoffels du Louvre, un morceau qui, dit-il, « met à bas » ceux des plus grands maîtres. Si les peintres d’histoire et de grandes « machines, » Lafosse, de Troy, Coypel, Lemoyne s’inspirent plutôt de Rubens, la peinture de chevalet, le portrait sont la vraie gloire de l’époque, et c’est le domaine de Rembrandt. Ici les preuves surabondent : on n’a qu’à pécher au hasard. C’est le portraitiste Rigaud qui possède sept tableaux du maître, — et Joshua Reynolds en réunit autant, — sans parler des copies qu’ils en avaient pu faire : on s’en apercevrait à leur manière de peindre, de distribuer les ombres sur un visage humain, et de concentrer sur un point l’attention et la lumière. Il y a même de Rigaud une Présentation au temple, une œuvre tout à fait curieuse avec son tumulte de draperies, son estrade, son rayon tombant obliquement sur une scène de miniature, démesurément agrandie par les pénombres environnantes, et qui serait inexplicable sans des modèles aussi formels que l’estampe de Médée. Largillière, plutôt « Rubéniste, » s’est souvenu un jour très ostensiblement du motif des Trois Croix. Sa Jardinière de Santerre est une variante à peine dissimulée de la Flore de l’Ermitage ; et sa Vénitienne porte, dans la façon de créer sur les traits des accidens de clair-obscur, la trace indéniable d’une même origine. Pendant une cinquantaine d’années, on « rembrandtise » à qui mieux mieux dans l’école française. Visible ou latent, le « Rembrandt des brumes chaudes » hante continuellement l’imagination des peintres. Il obsède Jean Raoux, dans ses agréables Liseuses, Grimou, dont le Jeune capitaine fait si bien, avec sa moue molle et son air un peu fille, sur le fond fortement roussi où tremble son aigrette. Il préoccupe Louis de Boullogne, qui