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expose en 1704 une tête « dans le goût de Rembrandt » et Michel Jacques Serre, qui présente à l’Académie une Bacchante désignée de même. Et Chardin, qui se fait « agréer » par surprise avec deux morceaux que Largillière prend pour « deux bonnes peintures flamandes » et qui, en 1737, envoie au Salon un Chimiste en son laboratoire, « dans la manière de Rembrandt ! » Chardin, si exquis ouvrier, si onctueux, si copieux, si abondant en ses petits cadres, si épris des matières lourdes, si savant à en dégager des finesses et de l’âme ! Il n’est pas jusqu’à ce polisson de Boucher qui ne recherche, pour leur « ragoût, » les belles épreuves et les dessins originaux du maître ; et son minuscule Atelier de la galerie La Caze le montre, au moins une fois, en flagrant délit d’imitation hollandaise. Du Rembrandt, on en trouverait chez Fragonard lui-même, dans des esquisses peu connues, les Trois Arbres, le Moulin à vent de Hollande, la Garde de nuit, la Garde bourgeoise, ou dans les œuvres les plus célèbres, si, abstraction faite du sujet, le Chiffre d’amour, par exemple, et le Matin de Pâques de Buckingham-Palace font sur la toile une « tache » à peu près identique ; et cet autre vaurien de Deshays, le gendre de Boucher, ne conservait-il pas, de la main de Frago, une copie de la Danaé de Rembrandt ? Reynolds n’invente rien, il constate simplement les faits lorsque, dans son Voyage aux Pays-Bas, il appelle la Hollande, — et la Hollande, c’est Rembrandt, — l’ « école » de la peinture.

Seulement, ce qui est tout à fait singulier, c’est que, devant tous ces gens-là, Rembrandt passe invariablement pour un pur réaliste. On le regarde un peu comme le Courbet du temps. C’est un praticien hors ligne, incomparable pour l’« artifice » du clair-obscur, et maître souverain de toutes les ressources du pinceau : passé cela, nul ne soupçonne l’originalité de cette âme profonde. C’est ainsi que Louis XIV achète le mélancolique Rembrandt à la serviette, Louis XV le Tobie, Louis XVI les Philosophes, le Bon Samaritain, les Pèlerins d’Emmaüs ; et rien ne prouve qu’on ait vu là autre chose que de beaux éclairages ou des paysanneries affublées de titres bibliques. Diderot cite une fois Rembrandt, pêle-mêle avec Ostade et Téniers, et préfère Téniers. Voltaire écrit sans sourciller : « Raoux, peintre inégal ; quand il a réussi, il a égalé le Rembrandt, » et Mariette dit d’un Alexis Grimou : « Il a été regardé comme un second Rembrandt : mais il n’a pas été plus loin. » Peut-être la note la plus exacte de