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c’est une surprise que leur silence. Gœthe n’a consacré qu’une page à une eau-forte, et la page n’est pas heureuse. Hugo n’a que quelques allusions insignifiantes. Et pourtant, le romantisme marque une étape décisive dans l’histoire de la gloire du maître. Il a renouvelé la conception de l’art. Il a bouleversé la notion de l’idéal, donné une définition inouïe de la beauté. Il prépare l’apothéose qui éclatera un peu plus tard.

L’idée-mère du romantisme est d’avoir, avec une netteté jusqu’alors inédite, formulé la loi du progrès ou de l’évolution des arts. Il a introduit dans la catégorie du Beau la notion du relatif. Il a proclamé l’existence d’une beauté moderne, aussi différente de l’antique que le christianisme du paganisme. Et cette beauté moderne s’exprime spécialement en art par la peinture. Le romantisme est dans l’ensemble une révolution de la couleur. Voici comment. La sculpture est un art presque fatalement païen. Elle tend vers un idéal de perfection physique, vers une idolâtrie de l’animal humain. Le génie romantique cesse d’être « sculptural, » il devient « pittoresque. » L’idéal, dès lors, n’est nullement la beauté : la laideur peut être pittoresque. Ou plutôt, il n’y a plus ni beauté, ni laideur : la forme ne compte plus, elle est ce qu’elle peut, on la prend telle qu’on la trouve ; corriger, châtier, ennoblir, sont des mots qui perdent leur sens. Tout a sa place dans cet art parfaitement égalitaire. Et il est, en un sens, rigoureusement réaliste, mais c’est en même temps le plus idéaliste de tous, puisque le réel n’y vaut que par la somme de spiritualité, par la quantité d’âme que l’artiste saura, soit en dégager, soit y mettre. La beauté romantique n’a rien de matériel : elle est, connue notre religion, morale et spiritualiste. Et enfin cette beauté moderne est en particulier une conception germanique. Les races latines sont classiques. Celles du Nord, au contraire, sont moins éprises de clarté que de profondeur et de mystère. Elles ont créé dans tous les arts des formes moins arrêtées et plus flottantes que les nôtres : pour tragédie, elles ont le drame ; au lieu de l’ode, elles ont le lied. En religion, elles ont fait la Réforme. Et Rembrandt, huguenot, de sang germanique, peintre de la laideur et poète crépusculaire, cumulait vraiment tous les signes d’une vocation romantique.

Seulement, toutes ces idées sommeillaient dans les livres. Il fallut un grand bruit pour réveiller ce monde de rêves, le faire sortir des nuées et le précipiter dans les faits. Ce fut le rôle de