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piété plus populaire ; mais jamais, en même temps, elle n’a été plus objective et plus savante.

Et à mesure que la connaissance du maître se faisait plus intime, plus éclairée et plus critique, voici que sa figure changeait encore une fois d’aspect. Depuis l’origine de sa réputation, au temps des, Rubénistes comme à l’époque du romantisme, quelque opinion qu’on eût de Rembrandt, que l’on fût pour ou contre lui, un point était acquis, et il résumait tous les autres : c’est qu’il était décidément, essentiellement anti-romain, ennemi de tout art classique. On en avait, dans toutes les luttes entre classiques et modernes, trouvé chaque fois de nouvelles raisons. Fromentin venait d’en parachever la démonstration. C’est précisément cette idée si bien établie, cette proverbiale antithèse de Rembrandt et de Raphaël qui commencent à s’évanouir.

On partait toujours de ce fait que Rembrandt n’a jamais été en Italie et qu’au rebours des « romanistes » de l’époque précédente, il n’a été qu’un autochtone. On oublie que la circonstance pourrait tout bonnement tenir à son mariage. Puis, il avait alors, tout jeune, une clientèle, de la gloire : il eût fallu de l’héroïsme pour sacrifier tant de biens. Au surplus, ce sont là des points secondaires. L’important est que Rembrandt n’ignorait rien de l’Italie. Ses deux maîtres, Schwanenburg et Lastman, étaient deux romanistes. Lui-même, dans ce musée qu’on a pris pour un débarras et un capharnaüm, il possédait deux Raphaëls. Il avait des Carraches, des Guides, un Palma, un Giorgione. Il avait un Amour dormant de Michel-Ange. Pas une œuvre importante qui ne lui fût connue par un dessin ou une estampe. On raconte qu’un jour, comme on lui reprochait de ne pas connaître Rome, il montra ses vieilles nippes, en disant : « Voilà mes antiques ! » On a toujours rapporté ce mot, de confiance, sans remarquer que Rembrandt possédait plus de cinquante moulages antiques. Son Homère de la Haye a les traits du buste de Naples. Et on ne soupçonne pas l’emploi que le maître faisait de tous ces matériaux. Dans son estampe la plus fameuse, la Pièce aux cent florins, il y a au moins deux emprunts reconnaissables : saint Pierre a la tête de Socrate, et son voisin, le pharisien, l’homme au bonnet de loutre, est l’Erasme d’Holbein. Et combien d’autres souvenirs, de Rubens ou de Titien, de Véronèse ou de van Dyck ! Ce peintre, qu’on dit un réfractaire, est à ce point impressionnable et à l’affût de toute