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chose, qu’on ne peut dire jusqu’où ne s’étend pas son braconnage. Voici la Cène de Léonard, voici la Calomnie d’Andréa Mantegna, toutes deux copiées de sa main. Dans les deux Leçons d’anatomie, celle du docteur Tulp et celle du docteur Deyman, il utilise deux fois, à vingt-cinq ans d’intervalle, le Christ en raccourci, du même Mantegna, au musée de Milan ; et la seconde imitation, la plus originale, est en même temps la plus textuelle. Même dans une vente et dans l’instantané et le brouhaha des enchères, Rembrandt ne peut voir passer le Castiglione de Raphaël, sans en prendre un croquis à la volée et le reproduire, coup sur coup, dans une estampe et un tableau.

Et telle est la raison intime qui lui fit adopter le séjour d’Amsterdam. On cite souvent à ce propos la lettre de Descartes : « Dans cette grande ville où je suis, n’y ayant aucun homme, excepté moi, qui n’exerce la marchandise, chacun est tellement attentif à son profit, que j’y pourrais demeurer toute ma vie sans être jamais vu de personne. » On n’a pas assez vu que, pour un travailleur et un casanier de son espèce, Amsterdam, c’est le voyage en chambre et l’univers à domicile. Quels poèmes, rien que dans les odeurs et l’arôme d’une telle ville ! Chaque brise a fait le tour du globe et arrive saturée de songes. Le port est l’entrepôt du monde. Sur les quais se déchargent les trésors des Indes et des Iles. C’est le bariolage de peuples d’une continuelle exposition universelle. Cela tient du bazar, du magasin et de la féerie : les Mille et une Nuits, un siècle avant Galland ! Et plus précisément, Amsterdam, pour Rembrandt, c’est Venise. L’erreur qui a fait prendre, sur quelques-unes de ses estampes, un participe hollandais pour la date Venetijs, est une confusion pleine de vérités. En dépit de Fromentin, Rembrandt est un Vénitien d’Amsterdam, comme Rubens l’est d’Anvers. Les profondes analogies des trois grandes villes coloristes ne sont pas une question d’atmosphère ou d’hygrométrie. Leur vraie ressemblance est ailleurs. Ce sont les trois villes sœurs où l’art a fait le même rêve, les portes que l’Europe d’autrefois eut béantes sur l’Asie, le monde du soleil et du bleu sans nuages : leurs vagues et leurs sirènes leur murmurent la même éternelle orientale.

Ainsi, chaque coup de sonde donné dans cette œuvre fait paraître un Rembrandt nouveau ; et le dernier apparu serait peut-être celui qui, au lieu de s’opposer à tous les autres artistes, de