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procéder et de penser à l’inverse de tous les grands peintres, leur ressemblerait davantage. Il en est un peu de son génie comme de sa fameuse Fiancée juive, en qui on a fini par reconnaître une Sainte Catherine. Avec toutes ses étrangetés, encore accrues par deux cents ans de commentaires et de gloses, le Rembrandt authentique semble bien être celui des tout premiers contemporains, le Rembrandt de Huygens, d’Angel et d’Hoogstraten, en qui Ton voyait le rival, mais nullement l’adversaire ou l’antipode des grands classiques.

Et en effet, c’est bien là ce qu’il a voulu être et ce qu’il a été, cet étonnant Leydois, ce molitoris filius, cet homme de rien, cet ignorant qui seul de son pays, avec Baruch de Spinoza, sut s’élever à une conception générale de l’homme. Il n’y a pas d’autre explication possible d’une gloire elle-même universelle, et qu’atteignent seuls dans l’art ceux qui donnent à leurs idées une signification et une valeur universelles. Les grandes lois de la beauté sont invariables et uniformes. Telle est la puissance de l’art, que ses formes, partout les mêmes, suffisent à dégager des pensées éternelles. C’est par elles, n’en doutons pas, que Rembrandt, seul parmi les peintres de sa race, a pris sur la conscience l’empire qu’on lui voit. En dépit de tout ce qui le sépare d’un Raphaël ou d’un Titien, c’est en vertu des mêmes principes que son art participe à la même valeur humaine.

Sa vie n’est qu’un effort passionné pour se dépayser, s’arracher aux conditions de la vie et de la pensée hollandaises, s’élever au-dessus de ce peuple de philistins, vivre de l’existence supérieure des poètes. Mais il avait beau faire, lui-même était un Hollandais, avec un œil plus exigeant, des sensations plus concrètes et plus complexes, des habitudes plus positives qu’elles ne le sont ailleurs. Et puis, dans cette culture à bâtons rompus qu’il s’improvisait, quelle image se faisait-il de la beauté tant désirée ? A. travers quel prisme déformant arrive à ce demi-barbare la lumière de la Renaissance ? Shakspeare aussi, dans ses Histoires, croyait faire des poèmes classiques. Et pourtant, quelles différences ! Joignez à cela, chez Rembrandt, cette mobilité toujours à la merci d’une impression nouvelle, cette fièvre d’égaler tous les maîtres, cet embrassement inquiet et haletant de tous les idéals. Il a voulu être tantôt pathétique comme Rubens, tantôt vrai comme Hals, éloquent comme Raphaël, somptueux comme Titien et comme Véronèse. Mais tous avaient